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Dieu est-il masculin ou féminin ?

Dieu est-il masculin ou féminin?

Il est difficile de parler des caractères féminins ou masculins en Dieu aujourd'hui où les rôles sont de plus en plus confondus : il y a des femmes chefs d'entreprise et des hommes tendres qui changent leurs enfants. Il faut donc pour cela reprendre les grands clichés qui veulent que le masculin représente la force, la sévérité, le travail, la puissance, l'action, il est celui qui ordonne et qui règne, et la féminité représente plutôt la tendresse, la douceur, la compassion, l'enfantement, elle consent, elle obéit.

En ce sens, Dieu, dans la tradition chrétienne, a, le plus souvent, été du côté de l'homme, présenté comme un Dieu fort, tout puissant, devant lequel on tremble, un Dieu qui juge, qui règne et qui commande.

Le problème, c'est qu'un Dieu comme ça, est difficile à vivre et met le fidèle dans la crainte. Il se trouve alors la nécessité d'avoir une dimension féminine dans la foi. Et ce n'est pas faux, non seulement parce que nous en avons besoin, mais aussi parce qu'il n'y a pas de raison de laisser de côté la féminité comme comportant des qualités moindres, ou de privilégier l'homme par rapport à la femme, comme si l'homme était du côté de Dieu et la femme peu de chose.

Déjà dans l'ancien Israël, il y avait la foi dans une figure féminine présentée comme la femme de Dieu et qui était appelée Ashéra, ou " la Reine du Ciel ". Les grands prophètes ont lutté contre cela en disant qu'il fallait rapatrier tout cela en une seule et même entité : Yawhé. Cette même tendance a sans doute créé le culte marial, et sans doute que ceux qui ont besoin de cela ont par ailleurs une conception de Dieu comme plutôt lointain, jugeur et terrifiant. Les protestants s'en sont passés, sans doute parce qu'ils ont une conception plus féminine de Dieu: un Dieu qui fait grâce, qui pardonne, qui sauve. Il n'y a alors pas besoin d'intermédiaire pour attendrir Dieu, il y a déjà en Dieu de la tendresse, de la douceur, de la compréhension du pardon possible, et tout l'amour d'une mère. On peut penser que cela est bien et qu'il est préférable de mettre toutes les qualités en Dieu lui-même plutôt que de l'éclater entre diverses entités. En Dieu se trouve la source de tout ce dont j'ai besoin.

Dans la Bible, il est vrai que Dieu est plutôt royal et patriarcal, Dieu est donc plutôt du côté du père... et pourtant cela ne nous apparaît pas facilement, mais la dimension maternelle de Dieu est extrêmement présente.

D'abord parce que l'une de ses principales qualités est la Miséricorde. Or ce mot en hébreu vient d'un mot qui désigne le ventre maternel. La miséricorde est donc au sens propre la tendresse, l'émotion de la mère pour le fruit de ses entrailles. Ainsi pourrait-on traduire le Psaume 86 (15) par : Et toi, Seigneur, tu es un Dieu " maternel " (ou " miséricordieux "), lent à la colère, riche en bonté...

Par ailleurs, Dieu est explicitement montré comme une mère par exemple en Esaïe 66 :13 : comme une mère qui console ses enfants, ainsi je vous consolerai, ou en Osée 11:1-4: Quand Israël était enfant, je l'ai aimé, alors j'ai appelé mon fils à sortir de l'Egypte. C'est Moi qui pour ses premiers pas ai guidé Ephraïm et qui l'ai porté dans mes bras. C'est par des liens d'une tendresse toute humaine et des cordes d'amour que je le conduisais, et j'ai été pour lui comme quelqu'un qui porte un nourrisson contre ses joues pour lui tendre à manger. (ou encore en Esaïe 49 :14-15, ou dans l'Evangile qui compare Dieu à une poule qui rassemble ses poussins).

Un autre élément moins connu se trouve dans un des noms de Dieu. Il est appelé parfois en hébreu : " El Shaddaï ". On a voulu souvent traduire cela par " Dieu tout puissant ", en pensant que le mot hébreu à l'origine de Shaddaï était Shadad qui veut dire " dévaster ". Mais ce mot dans la Bible a toujours un sens négatif et n'est jamais attribué à Dieu. Au contraire, certaines traditions juives disent que Shaddaï serait la forme duelle de Shed qui veut dire "le sein", "la poitrine" de la mère. El Shaddaï serait ainsi " le Dieu aux deux seins nourriciers " ! On comprendrait alors mieux que chaque fois que Dieu est appelé " Shaddaï " dans la Bible, il est toujours question de fécondité, de tendresse et de salut comme dans la bénédiction de Jacob : Voici l'œuvre du Dieu Shaddaï, il te bénira : Des bénédictions des cieux en haut, Des bénédictions des eaux en bas, Des bénédictions des mamelles et du ventre maternel. (Gen 49 :25).

Ainsi, la dimension féminine est loin d'être absente du Dieu de la Bible, au contraire. Et c'est essentiel. Car si Dieu est le summum de tout, alors il est le summum des qualités masculines et aussi des qualités féminines. Si l'on oublie un des genres, alors on a une foi déséquilibrée.

Si dans notre esprit Dieu est trop masculin, alors il devient pour nous source de peur, de jugement, il ne nous laisse pas de place, à moins que nous ne tuions le père, et c'est sans doute une source fréquente d'athéisme.

Et si dans notre esprit Dieu est trop féminin, alors Dieu devient une sorte d'entité douce et agréable, qui ne responsabilise pas, à moins de sortir de ses doux jupons, et Dieu redevient inefficace dans notre vie.

Il n'est donc pas nécessaire d'avoir une divinité féminine à côté d'un Dieu masculin, ni d'inventer le concept de " Dieuse " comme le voulaient les féministes il y a quelques années, parce que Dieu est à la fois masculin et féminin, il est évidemment au-delà de nos déterminations purement humaines. Et l'on peut dire " notre Père " tant que dans notre esprit, le mot " père " englobe aussi la réalité de " mère ".

Alors notre relation à Dieu peut être riche et féconde. Sinon elle reste stérile.

Louis Pernot