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je suis

 

 

Je suis!

Cette courte phrase qui émerge du buisson ardent, n’a jamais cessé d’être commentée. La diversité des traductions proposées (je suis qui je suis, je suis qui je serai…) peut nous alerter sur la difficulté à interpréter cette sentence. Il semble, en effet, qu’elle ne signale pas tant, l’inhabileté des traducteurs que la richesse du potentiel sémantique. Il est donc tout à fait pertinent de ne pas se cantonner à une seule interprétation. Louis Pernot nous offre plusieurs pistes. Loin de les remettre en cause, je vais me risquer à en ajouter une autre.

En élargissant un peu le texte, et en remettant cette phrase dans son contexte : un dialogue entre Moïse et Dieu. Lorsque Dieu se dévoile à lui, Moïse semble bien réfractaire. En premier, il se sous-estime et ne pense pas avoir autorité pour aller parler aux siens, ensuite il cherche à en savoir plus sur Dieu. Avant de nous pencher sur la réponse, on peut s’étonner de la question de Moïse. Car il connaît celui avec qui il dialogue : c’est le « Dieu de ses pères », qui vient de se révéler à lui. Cela aurait eu de quoi le désarçonner, pourtant à aucun moment il ne remet cela en cause. Alors pourquoi désire-t-il en savoir plus, connaître son nom ? N’est-ce pas parce que la relation avec « Dieu de ses pères » ne peut suffire. Pour Moïse, comme pour moi, l’expérience personnelle de la rencontre avec Dieu est essentielle. Il s’agit de faire cette rencontre existentielle et intime. Moïse ne peut se contenter du « Dieu de ses pères», il faut qu’il devienne son Dieu. De même, si naître dans une famille chrétienne, et recevoir un enseignement peut nous permettre de découvrir le « Dieu de nos pères», cela n’est pas suffisant. Il nous faut faire l’expérience personnelle de sa rencontre, le tutoyer, entendre qu’il nous appelle par notre nom, et l’appeler par son nom, lui dire « mon Dieu».

La multiplicité des interprétations

Ainsi, dans cette expression/révélation on entend que plusieurs possibilités d’interprétation fonctionnent. Et heureusement nulle ne s’impose définitivement. Alors gardons-les ! Vous êtes également invités à continuer. Regardez le petit dessin qui accompagne ce texte, que voyez-vous ? Un canard ? Un lapin ? Les deux sont possibles, il en est de même de cette phrase, et encore plus. Alors au bout du compte l’important n’est-il pas de conserver la polysémie du texte, la multiplicité des interprétations ? Il est essentiel de préserver cette diversité. Cette ambivalence, est l’essence même de l’énoncé qui nous invite à l’interprétation. Pour en savoir plus, pour que le voile se lève il nous faudra continuer à explorer. Autrement dit continuer à lire, et chercher dans l’ensemble du texte des traces, des indices qui peuvent lever un peu le voile, ou encore nous déplacer, nous engager à faire l’expérience de la rencontre avec Dieu.

Un « je suis » qui m’invite à dire je suis

Cette expression n’est pas sans écho dans le Nouveau Testament, à travers, comme le souligne Louis Pernot le : « celui qui est, qui était, et qui viens » de l’Apocalypse. Il est de bon ton de mettre ce « je suis qui je suis » en lien avec les nombreux « je suis » prononcés par Jésus dans l’Évangile de Jean. Cette déclinaison de « je suis » énoncés par Jésus n’est certainement pas sans lien. Elle est aussi dévoilement : je suis le chemin, la vérité, la vie, le bon berger, le cep… Pourtant, cela n’est certainement pas si simple. La plupart de ces « je suis » sont suivis d’un qualificatif. Un passage peut nous éclairer. À la fin du chapitre 8 Jésus dit « je suis », puis le chapitre 9 nous relate la guérison d’un aveugle de naissance. Cet aveugle qui lui-même est amené à dire « je suis » (9,9). Malheureusement la plupart des traductions traduisent par « c’est moi » ou « c’est bien moi». Mais, le « je suis » prononcé par l’aveugle guéri doit retenir notre attention. Jésus juste avant de lui rendre la vue, affirme « je suis la lumière du monde », il est la lumière, et il donne la lumière à l’homme aveugle. Tout se passe ici comme si le « je suis » de Jésus autorisait l’homme à dire à son tour « je suis ». L’homme va pouvoir « être », reprendre le cours de sa vie, et même plus il sera la figure même du disciple. C’est donc dans sa rencontre avec Christ qu’il trouve la justification de son existence.

Certes, au bout de ce parcours, l’énigme n’est pas résolue, la question reste en suspens. Mais, avec le texte biblique il ne s’agit nullement de répondre à une question mais de répondre à un appel. L’appel que Dieu nous lance, qui nous permet « d’être » pleinement sous son regard.

Florence Blondon

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