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La doctrine du péché originel: une vraie libération !

 

La doctrine du péché originel : une vraie libération !

La doctrine du péché originel a souvent été utilisée comme une arme pour décréter une culpabilité universelle. En fait, elle me paraît plutôt pouvoir être considérée comme un outil pédagogique pour redécouvrir trois points libérateurs.

· Elle nous permet de découvrir l'importance de la grâce. « La doctrine du péché originel est le défaut de l'armure permettant l'accès à la grâce » (Péguy). Ce n'est que lorsque nous avons ressenti jusqu'au plus profond de nous-même notre souillure et notre impureté que nous pouvons nous jeter vers la grâce et vers le pardon de Dieu comme vers une purification qui s'opère sans que nous n'y soyons pour rien.

· Elle nous libère de l'emprise des lois morales et nous rappelle que notre péché ne se définit pas par rapport à la morale. Non, nous ne sommes pécheurs que « devant Dieu », et « devant Dieu seul » (Ps. 51:6). Dieu seul définit la norme par référence à laquelle nous sommes pécheurs. Dieu seul la connaît et, par-là même, nous ne pouvons être jugés et condamnés que par Dieu et par Dieu seul. Ceux qui nous jugent portent atteinte au fait que nous ne pouvons être jugés que par Dieu seul. Ainsi, la doctrine du péché originel nous rend notre liberté vis-à-vis des opinions et des jugements d'autrui et vis-à-vis des morales et coutumes de ce monde.

· Elle nous rappelle que notre propension au mal est originaire et « innée ». Ce qui veut dire que nous n'y sommes pour rien. Elle est l'une des caractéristiques de l'homme en lui-même. Nous sommes nés dans le péché. Kant dira que nous sommes taillés dans le « bois courbe » du péché originel et du « mal radical ». S'il en est ainsi, cela doit nous déculpabiliser d'être inévitablement enclins au mal. Notre péché est irrémédiable, incontournable et irréversible. Nous sommes tous pécheurs de la même manière. Le péché originel est universel et égal pour tous. Contrairement à ce que laissait supposer un ancien texte de la liturgie du culte protestant, il n'y a pas de différence entre les « pécheurs honnêtes » et les « pécheurs scandaleux ». « Qui vole un oeuf, vole un boeuf ». Ainsi, il n'y a pas lieu de considérer que certains peuples (les Allemands de l'époque nazie, par exemple ) pourraient être plus enclins au mal que d'autres. Diverses expériences ont montré que nous pouvons tous, de la même manière, devenir des tortionnaires, en fonction des circonstances dans lesquelles nous pouvons être impliqués. C'est pourquoi la doctrine du péché originel permet de redécouvrir la nécessité de la tolérance : nous sommes tous de la même manière participants du même péché universel. Il y a banalité du mal (Hannah Arendt) ce qui devrait pouvoir nous éduquer à la tolérance et à la miséricorde.
 

Le péché originel: le bois courbe

Comment peut-on caractériser le péché originel ? D'abord par l'image de Kant : nous sommes taillés dans du « bois courbe ». Quels que soient nos efforts, notre manière de tendre vers le bien sera incurvée, faussée, détournée. C'est là l'étymologie du mot « péché » en hébreu : le fait de rater la cible. Ce « ratage » est inscrit dans notre nature-même. De même, quelle que soit la puissance de notre science, nous n'aurons jamais qu'une vision faussée du monde réel.

Nous ne connaîtrons jamais la vérité et la réalité que dans une sorte de miroir, « en énigme » (I Cor. 13:12) c'est-à-dire incurvé (concave ou convexe).

De même encore, quelles que soient notre foi et notre piété, notre idée de Dieu restera inexacte, mesquine, exiguë et pervertie. Nous ne pouvons pas sauter plus haut que notre ombre. Nous ne pouvons pas avoir les ailes plus grandes que notre nid.

Ainsi, notre vision du bien, du vrai, et de Dieu lui-même est aliénée par une « erreur de perspective » rédhibitoire. Luther caractérise le péché originel comme le fait de 1'« incurvatio hominis in se ipsum ». Le péché originel, c'est le fait d'être prisonnier de sa manière de voir les choses qui nous « recourbe » vers nous-mêmes et vers notre désir personnel. Saint Paul caractérise le péché comme le souci de soi, l'affirmation de soi, la volonté d'autonomie, la volonté de puissance. C'est le fait d'avoir son centre en soi-même. Et c'est pourquoi l'amour, le fait de trouver son centre en autrui, c'est le contre poison du péché originel. Simone Weil caractérise le péché originel comme le fait que notre ego constitue un épieu, un quant-à-soi qui fait obstacle à notre consentement à l'ordre du monde et à la « nécessité » (la fatalité) qui régit le cours de l'histoire.

En reprenant la formule d'Henri Michaux, on peut dire que le péché originel, c'est « l'abcès d'être quelqu'un ».
 

Qui a fauté ? Dieu, la femme ou le serpent ?

Avant d'avoir mangé le fruit de l'Arbre de la connaissance, Adam et Eve bénéficiaient d'une sorte de connaissance infuse, véritable et immédiate de leur environnement. Cette « connaissance » peut être rapprochée de la connaissance sensitive que l'enfant a dans le giron de sa mère. Ensuite, ils s'assimilent et s'approprient le fruit de l'Arbre de la connaissance. Dès lors, la connaissance a maintenant son origine en l'homme, et c'est ce qui explique « l'erreur de perspective » de l'homme et le fait que la connaissance soit « taillée dans le bois courbe » de la subjectivité et de l'erreur de perspective.

Certains éléments du mythe biblique de la chute remontent à l'épopée babylonienne de Gilgamesh dont la toute première version date de 2000 avant Jésus-Christ. Cette épopée raconte qu'Enkidou vivait innocemment avec les animaux (comme un Mowgli ou un « enfant sauvage » et innocent), jusqu'au jour où une prêtresse envoyée par Gilgamesh l'initia à l'amour, à la sexualité et au désir. Dès lors, Enkidou devint adulte, prit conscience de sa nudité, et ne put plus poursuivre sa vie harmonieuse d'enfant sauvage. Ainsi, l'initiation à la connaissance (Adam et Eve) est à rapprocher de l'initiation à la sexualité (Enkidou). D'ailleurs en hébreu, « connaître » une femme, c'est faire l'amour avec elle. L'une et l'autre initiations signent le passage de l'enfant à l'état adulte.

Alain Houziaux