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Archives-Reflexions

Le bonheur, c'est pour qui ?

 

Qui, d'Adam ou d'Eve, de l'homme ou de la femme est le plus apte à marcher et à vivre loin du paradis ?

Adam, l'homme, n'est pas né dans le Paradis. C'est dans la steppe qu'il a appris à marcher.Puis Dieu l'en a retiré et l'a placé dans le Paradis. Mais là, il s'ennuyait, seul avec Dieu, comme s'il n'était pas fait pour le bonheur, comme s'il devait toujours et partout être étranger. Il ressent Dieu comme quelqu'un qui entend mal et c'est parce qu'il est seul avecDieu qu'il se sent seul. Pour Adam, Dieu est d'abord une loi et une exigence, par rapport auxquelles il ressent sa solitude et sa frustration.

Eve, la femme, est née dans le Paradis, pour la vie, le bonheur, l'accomplissement paisible et sédentaire, pour la joie du couple et de la famille. Son premier regard sera sur son compagnon, son second pour les arbres couverts de fruits du jardin, son troisième pour le charme voluptueux du serpent. Elle gardera toujours la nostalgie de ces premières découvertes. Elle ne rencontre pas Dieu comme un absolu méta- physique, mais dans la sensualité et l'incarnation de sa création (le jardin) et de ses créatures (l'homme, le serpent).

On peut aller un peu plus loin dans la différence entre Adam et Eve.

Adam est mutilé par la naissance d'Ève, il perd une côte. L'homme expérimente sa relation avec l'autre d'abord comme une blessure, une séparation, comme si l'autre lui était arraché. L'homme a été le premier à souffrir des douleurs de l'enfantement. Son amour pour la femme est passion, c'est-à-dire souffrance. Adam accouche d'Ève qui devient différente de lui, ce qui le marque d'une blessure qui ne se refermera pas. Il souffrira toujours de ne pouvoir jamais re- posséder Eve, c'est-à-dire la rendre, elle, l'autre, de nouveau semblable à lui. Il restera toujours un déséquilibré possessif. Quand il parle à Eve (Gen. 2 :23), sans d'ailleurs vraiment s'adresser à elle, il prétend aussi parler pour Eve (comme si l'on pouvait parler pour l'autre !) et il tente de définir l'identité d'Eve par rapport à la sienne. Il balancera toujours entre la souffrance d'être seul - seul avec Dieu ? - et la souffrance d'être à deux, parce qu'il n'a jamais pu vraiment accepter que l'autre ne lui soit pas semblable.

Eve, la femme, elle, est par naissance faite pour le compagnonnage. Mais avec qui ? Elle commence à parler non pas avec Adam son mari, mais avec le serpent qui est le double féerique d'Adam, le prince charmant. Le serpent est beaucoup plus rusé, intelligent, voluptueux, causant qu'Adam. C'est un devin, presque un Dieu, il sait tout mieux qu'elle alors qu'Adam, l'homme véritable, est un paysan mutilé et ensommeillé, qui parle tout seul et s'émerveille d'elle sans vraiment la connaître.

Eve ne prend pas au sérieux l'interdit relatif à l'arbre de la connaissance du bien et du mal.Elle est prête à tout comprendre et à tout aimer, à vivre une sorte de convivialité épanouie à la fois avec Dieu, le Satan, et l'homme. Elle est faite pour un paradis sans entrave, pour la plénitude, le bonheur et la vie et non pas pour les séparations, les absolus, les distin-ctions entre le ciel et la terre ou le bien et le mal. Et de fait, la femme accède souvent bien plus vite et bien mieux que l'homme à la véritable connaissance, à la sagesse et à l'union avec Dieu.

Lequel des deux, Adam ou Eve, sera le mieux armé pour marcher et vivre hors du paradis ?Adam, le souffreteux, malmené par le tragique et la passion, prompt à s'émerveiller et à parler à la place des autres, et qui a appris à marcher dans les ornières de la steppe ? Ou Eve, la déracinée, fille exilée de la séduction et du jardin des délices, née pour le compagnonnage de l'homme, prête à donner et à dire le mystère de la vie et de l'amour ?

Alain Houziaux