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Archives-Reflexions

Le Jugement, le salut et la prédestination

 

L'idée d'un jugement après la mort est répandue dans toutes les religions païennes ou non, et le christianisme n'y a pas échappé. Le plus évident est de penser à un jugement sur les actions : sont pesées les bonnes et les mauvaises actions, et suivant le bilan, le défunt est dirigé vers un Enfer ou vers un Paradis.

Cette solution est, bien sûr, angoissante, et nous apparaît évidemment comme injuste. Certains ont au départ plus de chances que d'autres, et celui qui aurait été méchant pendant une bonne partie de sa vie n'aurait plus aucune chance de se racheter, même s'il se convertissait de tout son coeur.

Alors le christianisme a inventé le salut par la foi : ce qui est jugé, ce ne sont pas vraiment les oeuvres, mais la foi, la volonté profonde de faire le bien. C'est déjà mieux... mais cela reste inquiétant. Si nous sommes jugés sur notre foi, sommes-nous sûrs d'avoir une foi suffisante..? Et que penser des peuplades qui n'ont pas été évangélisées, ou qui n'ont pas eu la chance d'avoir eu un discours prêchant l'amour et le service de l'autre ?

C'est là qu'apparaît la doctrine de la grâce. Dieu a le moyen de sauver quelqu'un, même quand un jugement objectif ne pourrait que le condamner. Mais à qui alors Dieu choisit-il de donner sa grâce..? De là vient la doctrine de la prédestination de Calvin : voyant qu'il n'est pas satisfaisant de faire dépendre le salut de l'homme lui-même, autant le faire dépendre de Dieu seul. Mais l'on aboutit là aussi à des difficultés..: comment admettre cet arbitraire divin qui voudrait donner sa grâce et son pardon à l'un et qui les refuserait à l'autre ?

Alors aujourd'hui, la plupart de nos contemporains règle la question par l'universalisme : tout le monde est sauvé par la miséricorde infinie de Dieu. Cela revient, en fait, à nier l'existence d'un quelconque jugement. Certes, cela est bien rassurant pour ce qui est de notre propre sort... mais, pour généreuse qu'elle soit, cette doctrine est intenable. Tout d'abord, elle est tout sauf évangélique, dans l'Evangile, il y a des bons et des mauvais, il y a un enjeu du salut, certains qui sont sauvés et d'autres qui ne le sont pas. On n'est pas obligé de croire comme l'Evangile... mais il me semble que si l'on réfléchit un peu, cette doctrine est absolument révoltante. Comment imaginer que Dieu se fiche de tout, qu'il valide tout, qu'il ne fasse finalement aucune distinction entre le bien et le mal, que l'opprimé n'ait jamais de réparation, et que son oppresseur et lui se retrouvent à égalité dans une sorte de royaume prétendument idéal où se côtoieraient Hitler, Jésus-Christ, Néron, Saint François d'Assise, Gengis Khan et Abraham... Si Dieu sauve vraiment tout le monde de la même manière, alors il n'est plus possible de croire en lui.

Il ne peut pas garder pour l'éternité le mal, la violence, la jalousie, le crime, l'injustice...

Donc si Dieu sauve tout le monde, il ne peut pas tout sauver dans tout le monde..: forcément, dans la vie de chaque être, il y a des choses qu'il sauve et d'autres qu'il écarte. Probablement que Dieu ne garde que le meilleur de chaque vie. Oui, cela je veux bien le croire. Et peut-être d'ailleurs est-ce la voie pour bien comprendre ce qu'est le Jugement.

En effet, ce qui est sans doute faux au départ, c'est cette idée traditionnelle que la limite de démarcation entre salut et perdition doive passer entre les individus. Certains étant sauvés (totalement), et d'autres perdus (totalement). Cela est forcément injuste.

Notre vie est faite de bien et de mal, de choses bassement terrestres et contingentes, et de choses merveilleuses, spirituelles et éternelles. S'il doit y avoir un jugement, ce ne peut être que pour faire le tri entre ces deux dimensions. Si en effet je suis sauvé, j'espère bien que je n'aurai pas pour l'éternité mes petites mesquineries, mes maux de têtes, mes mauvaises humeurs, et toutes ces choses qui pourrissent ma vie et celle de mes proches, je pense que Dieu ne gardera de moi que le meilleur, que ce qui lui est attaché en fait. Dieu ne se souvient que du meilleur de nous-mêmes, et le reste, il est envoyé dans la Géhenne, qui était autrefois la décharge publique. C'est cela l'enjeu du jugement, non pas la félicité éternelle ou la souffrance, mais le souvenir en Dieu, ou l'oubli, le néant.

C'est d'ailleurs la théologie de Paul quand il explique en 1Corinthiens 3 que nous construisons notre vie avec différents éléments, du foin, du bois, de la paille et aussi du métal et des pierres précieuses, et que le jugement agit comme un feu pour brûler la paille et garder le meilleur. Il conclut même qu'en fait, tout le monde est sauvé «..mais comme au travers le feu..»... Feu qui ne laisse subsister que ce qui vaut quelque chose.

Paul nous offre encore d'autres images permettant de bien comprendre tout cela, par exemple quand il dit dans le très célèbre chapitre 13, que tout ici-bas est passager, seules demeureront éternellement trois choses dont la plus grande est l'amour. Oui, Dieu ne garde que l'amour, et la Vie Eternelle de chacun est faite de tout le bien, l'amour que Dieu a moissonné dans sa vie.

Ainsi, le Jugement Dernier n'est-il pas une chose terrifiante, risquant de nous envoyer tout entiers en Enfer, c'est au contraire la meilleure des bonnes nouvelles: Dieu ne gardera de nous que le meilleur, et il oubliera le reste, c'est fort heureux, et une grâce pour tous.

Louis Pernot