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Archives-Reflexions

Ô Jésus ta croix domine

 

Annonce Pâques en tension avec l'évènement de la croix.

Ce cantique nous rappelle que nous proclamons trop vite la résurrection, en oubliant de nous arrêter sur la croix. Cette croix, objet de torture et d'humiliation, est devenue le symbole par excellence des chrétiens. Les artiste ne s'y sont pas trompés. En effet, passion et crucifixion ont inspirés de nombreux chefs-d'oeuvre picturaux, littéraire, musicaux. L'expérience de la croix, expérience de la souffrance et de la mort, est si profondément humaine que les artistes ne pouvaient que s'y engouffrer.

Le thème principal de ce cantique est la contemplation de la croix, thème rare chez les protestants français. Les paroles de Ruben Saillens sur la musique de Bach, nous invitent à nous tourner vers cette croix. Il est tout à fait adéquat de chanter la grandeur de la croix et de proclammer la Résurrection. C'est une donnée incontournable, indissociable du message de Pâques. Rien d'etonnant puisque la mélodie est de Jean-Sébastien Bach et que pour Martin Luther, la croix est la clé de voute qui assure la cohérence de l'édifice théologique dans son ensemble. C'est d'ailleurs à cette époque que va s'opérer une petite révolution en manière de représentation du Christ en croix. Jusque là le Christ en croix montrait, si ce n'est une certaine puissance, tout du moins une maîtrise. Il subit en silence le supplice de la mort, son corps presque athlétique semble indemne. Lucas Cranach, à l'aube du XVI° siècle, va oser peindre un Christ décharné, supplicié, un corps martyrisé. A la sortie du Moyen-Âge, où la mort rôde, il est devenu impossible d'annoncer Pâques sans que cette annonce soit en tension avec l'évènement de la croix. Tout est en place pour que Luther puisse explorer cette "théologie de la croix", radicalisée par l'apôtre Paul.

La croix est notre seule théologie (Martin Luther)

Lorque Luther exprime cela, il est en parfaite harmone avec Paul. Paul, qui ne retient rien de la vie, ni de l'enseignement de Jésus, mais qui proclamme : "Je n'ai rien voulu savoir parmi vous sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié". (1 Cor. 2, 2). C'est le langage du paradoxe et de l'évènement inattendu : Dieu se révèle là où nul ne songe à le chercher, c'est à dire sous les traits d'un homme mis en croix, faible et méprisé, qui singulièrement est puissance de salut ! Dans les Evangiles, les gestes et la prédication de Jésus n'ont de cesse de bousculer les idées reçues, de s'opposer aux pratiques vides de sens, de questionner notre relation au Père. Ses actions, sa prédication sont déjà folie, préfigurant et éclairant l'aberration de la croix, la théologie de la croix a pour objet de radicaliser ce message, elle nous coupe de la prétention de connaître Dieu à partir de ses oeuvres et des attributs de son être, un Dieu forgé par l'imagination humaine. La croix coupe l'être humain de la tentation de connaître Dieu par ses propres moyens, ni par notre foi si grande soit-elle, ni par notre raison si indispensable soit-elle. La croix est l'écueil sur lequel vient se briser la sagesse des Grecs, la piété des Juifs. Le corps du crucifié est une folie qui ne saurait entrer dans un système rationnel, le corps du crucifié est un scandale qui met en échec toutes les représentations de Dieu que le croyant traditionnel peut se forger. La croix nous ouvre une brèche, elle s'oppose à une compréhension de la puissance divine, elle esquisse la possibilité d'une réponse au problème du mal. Pourtant elle n'est jamais un point final.

Car la croix n'est pas la négation de la Résurrection

Au contraire la lecture de la croix se fait à partir de la Résurrection. Si tout au long des Evangiles Jésus renverse les valeurs, et s'il annonce sa mort, il dit également la victoire sur la mort. Il vit et proclame que toute sa puissance s'exerce dans l'amour. Personne ne le comprend. Pourtant il nous prépare à déchiffrer le Christ dans cette figure paradoxale du crucifié, à la lumière de la Résurrection. Chez Paul également, la croix est toujours en référence avec le Réssuscité. La parole de la croix n'est jamais négativité, elle s'inbscrit dans un cpontexte d'amour, de réconciliation, de paix. C'est dans la faiblesse et la pauvreté des situations, dans l'exercice de la compassion, que la puissance de Dieu peut donner toute sa mesure, c'est ce qui fonde une manière particulière d'habiter notre condition humaine. "Aimer jusqu'au bout" (Jean 13, 1) c'est ce qu'accomplit le Christ, et c'est à quoi il nous appelle. Mais en offrant cette certitude, l'amour est plus fort que la souffrance et le mal, l'amour est plus fort que la mort. Le couple croix-résurrection nous tourne vers la dimension de l'amour. L'amour qui peut venir à bout de la mort, l'amour qui abolit la mort et nous met en chemin vers la vie.

A la croix l'amour a étendu les bras,
et à Pâques la mort a baissé les bras.

 

Florence Blondon