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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Manger la Bible

Prédication prononcée le 26 mai 2013, au temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

 

 Nous avons la Bible, mais quel est son mode d’emploi ? La réponse à cette question conditionne bien des choses, et certainement explique en partie la diversité des Eglises protestants qui, toutes, se réfèrent à la Bible, mais pas de la même manière. Dans nos Eglises historiques, la Bible n’est pas vue comme un livre divinement infaillible ou totalement inspiré, elle n’est pas un livre à apprendre comme une leçon, pas un traité de doctrine, ni un code de morale, ce n’est pas un livre à obéïr, ni même un recueil de choses à appliquer ou à croire. Mais alors quel rapport avons nous avec la Bible ?

On peut trouver une sorte de réponse dans le livre d’Ezéchiel, lors de la vocation du prophète. Cela est repris dans l’Apocalypse (ch. 10) où Jean voit un ange tenant à la main un petit livre (la Bible bien sûr), et il lui dit : « prends le livre... et mange le ».

L’image est belle : manger cette parole, c’est l’intégrer, la mettre en  soi pour qu’elle nous construise, c’est l’intérioriser, la déguster, la savourer...

Quand on mange un aliment, avant il nous est étranger, et ensuite, il devient à l’intérieur de nous, ce qui nous donne la force, la vie, ce qui nous constitue.

Le Christ au début de son ministère redit cette parole essentielle du Deutéronome (8:3): «L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu », et à la fin de sa vie, il concluera son enseignement par ces mots célèbres en donnant du pain à ses disciples : «mangez, ceci est mon corps ». Bien sûr que la question n’est pas de manger physiquement un bout de pain comme on mangerait un médicament, mais c’est un symbole pour dire que cette parole de Dieu qui nous est donnée et qui est la nourriture de notre vie morale et spirituelle, elle se trouve toute entière en Jésus-Christ qui l’incarne. Il ne s’agit donc pas seulement de vaguement connaître l’Evangile, mais d’en faire la nourriture de sa vie, de la manger, de la mettre en soi de la faire sienne pour qu’elle devienne la soure même de sa force, de sa vie et de tout ce que l’on est.

Et c’est encore plus que cela, parce que dans le fond, nous sommes constitués de ce que nous avons mangé,chaque gramme de notre corps, de nos yeux, de notre cerveau est fait de molécules que nous avons un jour au l’autre mangées. Les scientifiques disent que toutes les cellules de notre corps ont été changées depuis notre naissance, donc tout ce qui constitue notre corps vient de ce que nous avons mangé un jour ou l’autre. Mais cela ne se fait pas brutalement au point que l’on puisse dire que telle nouille a formé un bout de notre oreille, cela se passe lentement, mystérieusement, petit-à-petit, et à notre insu.

Il en est de même pour la nourriture spirituelle. Nous lisons beaucoup, nous intégrons autant que possible, et c’est cela qui va progressivement nous constituer. Si notre corps est fait de la nourriture matérielle que nous avons mangée, notre être intérieur, notre personnalité, est fait de la nourriture spirituelle que nous avons bien voulu lui donner. Ce qui nous constitue, ce sont les idées auxquelles nous voulons prêter attention, les lectures que nous faisons, les sources que nous choisissons pour notre réflexion.

C’est dans ce sens que Jésus, dira à ses disciples : « méfiez vous du levain des pharisiens », en parlant de leur enseignement (Matt. 16:6) parce qu’il y a dans l’enseignement des pharisiens quelque chose de délétère si l’on en fait sa propre référence. Il y a donc des contenus qui sont toxiques si on en fait la source de son être, si on se laisse transformer par eux. Le Christ, lui, dira : qu’il est « le pain de vie, le pain vivant qui descend du ciel, » (Jean 6:51). Le Chrétien, c’est celui qui choisit l’enseignement du Christ et le Christ lui-même comme nourriture essentielle de sa vie, il veut le mettre en lui pour y trouver la source de l’essentiel de son être.

Et il est vrai, sans doute que comme physiquement notre corps est fait de ce que l’on a mangé, dans le domaine de l’humain, aussi, on devient ce que l’on mange, comme on devient à l’image de ce à quoi l’on croit. Cette idée se trouve joliement exprimée dans le Psaume 115 à propos de ceux qui mettent leur foi dans des idoles, c’est-à-dire qui s’attachent ultimenet à des idées, des valeurs qui ne sont pas essentielles ou vitales : « ils deviennent comme elles ceux qui mettent leur foi en elles ». Nous finissons par devenir à l’image de ce en quoi nous croyons, et notre vie finit par ressembler à ce que nous lui donnons à manger. Si on ne lui donne rien à manger, notre vie devient une sorte de carcasse vide et privée de sens, si nous ne lui donnons à manger que des choses insipides, faciles et courantes, notre vie a peu de chance d’acquérir de la vraie valeur, de la profondeur. Mais si nous prenons la peine de lui donner une nourriture forte, consistante, avec un vrai message fondateur et essentiel, alors notre vie s’assoit, elle s’approfondit, elle s’enrichit pour prendre cette dimension non matérielle qui dure jusque dans la vie éternelle.

Cette idée est très forte dans le judaïsme, elle est exprimée par un précepte ashkénaze reposant sur un jeu de mot: « Man ist was er ißt » : l’homme est ce qu’il mange.

Cela explique sans doute en partie pourquoi il est donné dans la Bible une telle importance à la nourriture. Dieu est présenté dès l’Exode comme un Dieu qui nourrit son peuple avec les cailles et la Manne, et ensuite Dieu donnera à Moïse une loi qui comporte un nombre considérable de commandements concernant l’alimentation. Le questions d’hygiène sont souvent invoquées pour en expliquer l’origine, mais si l’hygiène est importante, des tas de peuples se sont très bien passé de telles lois, et elle est rarement vitale au point d’en faire une question de religion. La raison de ces commandements est certainement plus profonde, c’est que la nourriture matérielle est souvent prise comme un symbole, une parabole de la nourriture spirituelle dont nous avons besoin et qui, cette fois, est vitale, parce qu’elle conditionne notre être d’une manière essentielle.

Cette compréhension métaphorique de la nourriture explique bien des commandements, ce sont donc des symboles qui renvoient au delà de la matérialité du signe. Par exemple, le cygne est un aimal impur, et il ne faut donc pas en manger (Lev. 11:18), la tradition rabbinique explique pourquoi, c’est parce qu’il semble beau et blanc, mais qu’en fait, il n’est pas grand chose, et pas très bon à manger. Il est l’image de l’orgueil, de la poudre aux yeux, de celui qui fait le beau en déployant ses ailes mais qui n’a pas de fond. Il ne faut pas devenir semblable à cela ! De même, le porc est un animal impur, essentiellement parce qu’il se nourrit de déchets, d’ordure, chose que nous ne devons faire sous aucun prétexte spirituellement. Et encore, sont impurs tous les animaux un peu mélangés ou batards : les poissons sans écailles, les ruminants qui n’ont pas le sabot fendu, parce que la franchise et la netteté sont des choses infiniment importantes.

Mais si le Christ a relativisé l’interprétation littéraliste des pharisiens à ce sujet, il n’a pas relativisé le fait qu’il est essentiel de bien nourrir spirituellement notre vie. Et il est vrai que nous devons prendre garde de quoi nous nourrissons notre pensée, c’est une question que nous devons nous poser. Et il faut le faire avec son intelligence.

Et cela requiert une attention toute particulière, parce que notre corps, lui, a des alertes quand nous ne mangeons pas assez, ou mal, nous avons faim, ou nous nous sentons malades, alors que dans le domaine du spirituel, ce n’est pas le cas, au contraire, moins on se nourrit spirituellement, moins on a envie de le faire, et les idées délétaires peuvent nous sembler appétissantes, même si elles sont ravageuses en fin de compte pour notre entourage et même pour nous.

Nous devons donc d’abord prendre garde de ne pas oublier de nourrir notre vie spirituelle, et ce, réellement. Rester avec un rôti à côté de soi dans le Frigidaire ne nous nourrit pas, pas plus qu’une Bible qui reste fermée sur la table de nuit. Et ce n’est pas parce que nous croyons connaître l’Evangile, que nous savons qu’il n’est pas loin, que notre vie va être nourrie, il faut un acte concret.

On trouve dans l’Exode lors de l’épisode de la Manne un bon nombre d’autres recommandations de bon sens sur la manière de se nourrir. D’abord, il est dit que chacun doit ramasser pour lui sa part. C’est vrai : ce n’est pas parce que mon voisin se nourrit que moi je le serai, ce n’est pas parce que mes parents ont une démarche de recherche que moi je vais en bénéficier automatiquement. Dans ce domaine, chacun est responsable de lui et pour lui. En suite, il est dit qu’on ne peut pas conserver la Manne d’un jour sur l’autre, et donc qu’il faut la récolter chaque jour, et chaque jour se nourrir de ce que l’on a récolté. Cela est bien vrai, de même que pour la nourriture terrestre, la meilleure façon de se nourrir, c’est de le faire régulièrement et petit-à-petit. Lire un Psaume tous les matins est une merveille, en lire même dix à la suite ne peut provoquer qu’une indigestion et finalement du dégoût.

En fait, la nourriture nous profite d’une manière curieuse. Même si elle nous constitue, on ne peut pas dire exactement comment. Cela se fait petit-à-petit. De même, il est rare de trouver le verset fondamental, passionnant qui change notre vie. Le plus souvent, nous lisons, nos prions, et apparemment, il n’y a pas de révolution, mais pour les aliments c’est la même chose, nous ne pouvons pas dire quelle steak, quelle nouille a constitué notre oeil ou notre oreille. Tout cela est de l’ordre de la croissance lente, sans qu’on s’en rende compte. C’est à la longue que cela nous construit, nous change, nous fait grandir et nos fortifie. Et il est rare dans notre lecture de la Bible de tomber en arrêt devant un verset qui change notre vie ou nous semble passionnant. Ca peut arriver, mais c’est rare, le plus souvent, nous lisons sans grande passion, il y a des passages, bien sûr que l’on aime plus ou moins, que l’on trouve parfois savoureux, parfois moins, mais sans qu’on s’en rende compte, cette lecture finit par faire ce que nous sommes. De même quand on disait à un enfant : « mange ta soupe, ça fait grandir », personne pensait que s’il mangeait toute la soupière il grandirait de 10 centimètres, pourtant dans le fonds, ce n’étiat pas faux.

Dans notre langue vulgaire, nous disons : « dévorer un roman », l’image est intéressante, mais la Bible, elle, elle se déguste, comme un mêt précieux, comme un bon vin, il faut le lire petit-à-petit, régulièrement, par petites bouchées prises avec attention.

Et puis il faut bien dire que quand on lit la Bible, c’est comme quand on mange, tout n’est pas nourrissant. De ce que nous mangeons, une grande partie est rejetée « dans quelque lieu secret » comme dit l’Ecriture avec délicatesse (Matt. 15:17) seule une infime partie nous sera vraiment utile. Quand nous lisons, beaucoup de passages ne nous intéressent pas, entrent par une oreille et sortent par l’autre, mais ce n’est pas grave, nous ne savons pas ce qu’il en reste, mais il en reste quelque chose, et ce n’est de toute façon pas une raison pour arrêter de manger.

De même aussi, on n’aime pas tout, il y a des passages plus ou moins agréables dans la Bible, mais il faut manger un peu de tout, de même que les enfants ne doivent pas manger que des frites et des pizzas, il faut des aliments moins flatteurs, mais essentiels. On ne peut pas toujours lire les Béatitudes, il faut avoir le courage aussi de se confronter aussi aux textes difficiles, à ceux qui sont contrariants, ce sont même peut être eux qui sont les plus stimulants pour notre vie spirituelle.

Et puis il y a enfin une dernière dimension essentielle, c’est la convivialité. On mange mieux à plusieurs que tout seul. Le repas, c’est l’occasion de partager avec des frères et des soeurs. Tout seul, on risque de perdre un peu la motivation de manger. Lire la Bible tout seul, c’est possible, mais on risque de se décourager, de le faire de plus en plus vite, de tourner en rond, et finalement de manger un peu toujours la même chose et la lassitude s’installe. Manger avec les autres, manger chez les autres, c’est une dimension clé de la gastronomie, et de toute recherche spirituelle qui ne peut pas être totalement solitaire. Là est l’essence de la communauté, et il n’est pas indifférent que notre communauté de l’Egise se définisse précisément par un repas symbolique qui rassemble tous ceux qui ensemble veulent exprimer leur désir de faire de la vie du Christ, de son enseignement, de sa parole la nourriture de leur vie, le pain et le vain, la source de leur force et de leur joie.

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Ezechiel 2:1,2 ;9 -> 3:4

Il me dit : Fils d'homme, tiens-toi sur tes pieds, et je te parlerai. Dès qu'il m'eut adressé ces mots, l'Esprit entra en moi et me fit tenir sur mes pieds ; et j'écoutai celui qui me parlait...

Je regardai, et voici qu'une main était tendue vers moi, tenant un livre en rouleau. Il le déploya devant moi : il était écrit en dedans et en dehors. Il y était écrit : Lamentations, plaintes, gémissements.

Il me dit : Fils d'homme, mange ce que tu trouves, mange ce rouleau et va parler à la maison d'Israël ! J'ouvris la bouche, et il me fit manger ce rouleau. Il me dit : Fils d'homme, nourris ton ventre et remplis tes entrailles de ce rouleau que je te donne ! Je (le) mangeai, et il fut dans ma bouche doux comme du miel. Il me dit : Fils d'homme, va vers la maison d'Israël, et tu leur diras mes paroles !

 

Jean 6:50-58

C'est ici le pain qui descend du ciel, afin que celui qui en mange ne meure pas. Moi, je suis le pain vivant descendu du ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde.Les Juifs se querellaient entre eux et disaient : Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ?Jésus leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, vous n'avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment un breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. Comme le Père qui est vivant m'a envoyé, et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi. C'est ici le pain descendu du ciel. Il n'est pas comme celui qu'ont mangé vos pères : ils sont morts. Celui qui mange ce pain vivra éternellement.

 

Apocalypse 10:1, 8-11

Je vis un autre ange puissant, qui descendait du ciel, vêtu d'une nuée. Sur sa tête était l'arc-en-ciel, son visage était comme le soleil et ses jambes comme des colonnes de feu. Il tenait à la main un petit livre ouvert...

Et la voix, que j'avais entendue (venir) du ciel me parla de nouveau en ces termes : Va, prends le petit livre ouvert dans la main de l'ange qui se tient debout sur la mer et sur la terre. J'allai vers l'ange, en lui disant de me donner le petit livre. Et il me dit : Prends-le et avale-le : il remplira d'amertume tes entrailles, mais dans ta bouche il sera doux comme du miel. Je pris le petit livre de la main de l'ange et je l'avalai : il fut dans ma bouche doux comme du miel, mais quand je l'eus mangé, mes entrailles furent remplies d'amertume.Puis on me dit : il faut que tu prophétises de nouveau sur beaucoup de peuples, de nations, de langues, de rois.

Apoc. 10:1, 8-11, Eze. 2:1,2 ;9 -> 3:4