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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Jeter des perles aux pourceaux

Prédication prononcée le 13 juin 2010, au temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

Ne donnez pas les choss saintes aux chiens, ni ne jetez vos perles devant les pourceaux, de peur qu'ils les les piétinent de leur pieds, et que, se retournant, ils ne vous déchirent. Matt 7:6

Ce verset de l'Evangile est devenu une expression courante, mais cela ne le rend pas plus facile à interpréter pour autant. Habituellement, on le fait en disant que les chiens et pourceaux représentent les païens, ou ceux qui sont trop éloignés de la religion, et qu'il ne sert à rien de prêcher à ceux qui risquent de n'y rien comprendre, ce serait du gaspillage. Certains sont irrécupérables et il faut réserver ses forces pour ceux qui en valent la peine.

Cette lecture pose problème, d'abord parce que le Christ dans l'Evangile se résigne rarement à considérer comme irrécupérables certaines personnes trop pécheresses, au contraire, il se dit au service des plus petits, des exclus, et dit : « Je suis venu pour chercher et sauver ceux qui étaient perdus ». On voit donc mal dans sa bouche des propos ainsi élitistes à la limite du cynisme. Et par ailleurs, sa vie même est un contre exemple de cette interprétation habituelle que nous donnons : il a, lui, prêché et donné sa vie pour des hommes qui n'y ont rien compris et qui n'en étaient pas dignes, et effectivement, ils se sont retournés pour le déchirer en le mettant à mort. Mais pourtant, il l'a fait quand même, alors faut il faire comme dit Jésus et prendre garde, ou faire comme il a fait lui et accepter le risque ? Il y a là une incohérence apparente.

Certes, on peut penser que Jésus n'a pas entièrement gâché ses chances, puisque finalement son message est quand même passé. Ses perles n'ont donc pas été entièrement piétinées, au contraire. Et cela, parce qu'il n'a pas prêché qu'à des pourceaux, certes s'est fait déchirer, mais il a assumé le risque. Ce verset pourrait être non pas une dissuasion à risquer sa parole, mais une mise en garde pour en exprimer les risques à assumer si on veut le faire.

Cela dit, il y a quelque chose de vrai dans la mise en garde, même lue comme nous l'avons fait. Non pas en ce que certains ne mériteraient même pas qu'on leur adresse la parole, mais pour dire de faire attention à qui l'on parle, et de se préoccuper non seulement du message, mais aussi de l'interlocuteur.

La question n'est pas seulement ce que l'on a à dire, mais aussi de savoir si cela peut être reçu, entendu. Et de même pour les actions que nous pouvons mener, il ne faut pas agir brutalement, même pour faire le bien, mais toujours se demander si cela pourra être reçu. Une action, peut être bonne en soi, mais si elle fait du mal, alors elle devient mauvaise.

C'est ça l'amour : la préoccupation de l'autre, et plus l'accueil et l'écoute de l'autre que de le bombarder de paroles et de cadeaux dont il n'a rien à faire. Le don est mise en relation, s'il est fait dans le mépris de l'autre, si l'autre est seulement vu comme une machine à recevoir, ou pire comme un pourceau qui ne mérite même pas ce qu'on lui donne, alors il y a toute chance que cela tourne mal.

Le problème, c'est quand on donne à l'autre ce dont il n'a pas besoin ou ce dont il n'éprouve pas encore le besoin. Il faut comprendre celui à qui l'on parle et ne pas lui donner ce dont il n'a pas besoin, même si c'est très saint et merveilleux. Ainsi l'Armée du Salut a compris qu'il ne sert à rien de prêcher l'Evangile à quelqu'un qui meurt de faim. Si l'on veut s'occuper de quelqu'un dans une situation très précaire, il faut d'abord lui donner ce dont il a besoin : de la nourriture, un abri, des vêtements, ensuite peut être pourra-t-on lui donner autre chose. Avant de donner des choses saintes, il faut, peut-être d'abord éveiller la curiosité, mettre en mouvement, faire désirer l'Evangile avant de le prêcher brutalement. Il faut faire comprendre qu'il peut apporter quelque chose à son interlocuteur.

Il est certain que toute bonne chose n'est pas toujours bonne à dire n'importe où n'importe comment et à n'importe qui. Il ne faut pas aller jusqu'à plaider pour un enseignement initiatique, mais tout de même faire preuve de discernement, savoir à qui l'on s'adresse, et la communication, c'est faire attention à qui l'on parle, ne pas dire les choses sans précaution ou écoute de celui à qui l'on parle.

Même l'Evangile qui est bon, peut être mal reçu, mal interprété et peut mener à son contraire . L'histoire l'a prouvé, et lu bêtement, il a pu donner lieu à des intolérances et des massacres divers. L'Evangile n'est pas une chose magique qui transforme de soi-même le cœur de l'homme, il a besoin d'être reçu d'une certaine, d'être compris, au risque de ne mener qu'à de la violence ou à du rejet.

Le Christ lui-même semble avoir prêché sans trop se préoccuper de la manière avec laquelle cela serait reçu, mais il était peut être moins naïf qu'on ne le pense, et cette préoccupation de ne pas dire n'importe quoi à n'importe qui transparaît dans l'Evangile, comme en Jean 16:12 où il dit : « J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant ». Paul partagera ce sentiment disant lui aux corinthiens : (1Co 3:2) « Je vous ai donné du lait, non de la nourriture solide, car vous ne pouviez pas la supporter; et vous ne le pouvez pas même à présent. »

Ce type de lecture de notre verset pourrait, du coup, expliquer pourquoi il se trouve dans un tel contexte dans l'Evangile de Mathieu. Juste avant, en effet, il est question de la paille et de la poûtre. Le lien pourrait être de penser qu'il n'est pas bon de dire son juste jugement à l'autre qui est pécheur, ni de le juger, parceque l'on risque alors d'être jugé et dévoré soi-même, étant encore plus pécheur.

Et puis le lien avec l'exhortation suivante : « demandez et l'on vous donnera, frappez et l'on vous ouvrira » et justement une incitation à ne pas se promener dans le monde comme étant soi même le sauveur de tous, commé étant soi-même au dessus des autres pour donner à chacun, mais au contraire avoir une certaine humilité, non pas pour donner, mais de savoir aussi recevoir, savoir demander. Ne pas faire étalage de sa perfection, mais demander pardon, ne pas juger, mais être humble par rapport à l'autre. La foi, ce n'est pas tant compter sur sa propre richesse que sur son manque, et donc savoir demander. On n'est pas tant riche de ce que l'on ne possède, mais de ce que l'on recherche. Les enfants, en ce sens, ont une certaine vérité philosophique quand désirent un jouet et n'en veulent plus pratiquement dès qu'ils le possèdent. La vraie richesse, c'est le désir, c'est le non avoir, c'est la quête.

Et donc, par rapport aux autres, si l'on considère qu'il y a du pourceau en eux, la bonne attitude n'est pas d'arriver avec ses richesses spirituelles, de les écraser de notre perfection ou de les éclabousser de notre bonheur, mais d'aller à la quête avec eux, leur dire ce qu'il y a de beau et de bon en eux, et peut-être justement leur faire découvrir ce qui n'est pas pourceau en eux, en quoi ils ont eux aussi de la richesse et de la beauté, qu'ils peuvent donner, que l'on peut recevoir d'eux, et qu'ils peuvent être sujets de leur vie, et pas seulement objet, que ce soit de nos jugements négatifs ou de nos bonnes œuvres ou paroles. Quand on regarde les gens comme des pourceaux, ils finissent par le devenir et se comporter comme des pourceaux.

Tout cela est bien, mais me gène : lecture binaire voulant mettre les uns dans les rôles des saints et les autres dans celui des pourceaux. Pour éviter cela, on peut d'abord dire que les cochons ne représentent pas particulièrement telle ou telle personne, mais la bassesse en soi, le vulgaire, le grossier. Et il pourrait y avoir alors une mise en garde de ne pas dévaluer le message. Le message de l'Evangile est sacré, il faut le traiter avec respect et grandeur, ne pas le rabaisser au niveau du trivial, on ne ferait que du mal.

Or c'est une tentation dans l'Eglise, de vouloir se mettre au niveau du plus bas, et simplifier le message, banaliser les liturgies et les rites pour se mettre au niveau de tous, voire pour racoler le chaland par sorte de démagogie. Mais ce n'est pas en rabaissant l'Evangile ou la manière de le prêcher que l'on fait bien. On risque de faire tout l'effet contraire.

Donc dans la transmission de l'Évangile, il ne faut pas dévaluer ce que l'on tient pour saint en le distribuant n'importe comment, garder aux choses saintes leur valeurs, Garder aux choses saintes la sainteté, ne pas tout rabaisser pour prétendre se mettre au niveau des gens.. Pas essayer de plaire aux cochons et aux chiens en dévaluant ce que l'on a. Se retourne contre les messagers de l'Evangile, fait dire que ce qu'ils disent n'a pas beaucoup de valeur, puisqu'on le brade ainsi.

Et inversement, quand on est en position de recevoir, il ne faut pas agir comme ces pourceaux, accepter que ce que l'on reçoit est complexe, saint, et donc pas nécessairement simpliste ou comme on le voudrait. Comprendre qu'il y a dans l'Evangile une force de vie, mais peut être pas comme on l'aurait rêvé, une puissance, mais peut être pas comme on l'a cru dans notre enfance. Donc être disponibles pour accueillir cette parole qui donne la vie quand bien même elle ne semble pas combler tous nos désirs immédiats et terrestres.

On peut aller plus loin en considérant que les chiens et les cochons sont deux animaux impurs, il est donc question du rapport entre ce qui est saint et ce qui ne l'est pas.

Le saint, c'est ce qui est d'ordre spirituel, divin, de l'ordre de l'amour, et les pourceaux, c'est ce qui est de l'ordre du matériel, de l'animal, de l'égoïsme et du matérialisme. Notre verset dirait alors de ne pas mélanger les deux.

Cela peut sembler contraire au discours des Réformateurs visant à unifier et à dire que tout le matériel peut prendre une dimension spirituelle, mais en fait non. Ce qui est condamné là, c'est de donner le spirituel au matériel, pas le contraire qui lui est plutôt une bonne chose. Le matériel peut être au service du spirituel, on peut jeter le matériel au pied du spirituel, si l'on fait le contraire, si le spirituel devient au service du matériel, c'est non seulement un gâchis, mais cela peut même générer du mal et de la destruction.

Il y a dans notre vie du matériel et du spirituel, des choses saintes et des choses animales. Ce n'est pas un problème, le problème, c'est quand le spirituel se met au service du matériel, par exemple pour justifier nos désirs les plus bas. Il faut savoir discerner entre ce qui est essentiel et ce qui ne l'est pas, ce qui est sacré et ce qui ne vaut rien, ce qui a un rapport à Dieu, à l'Eternité et ce qui n'est que matériel et passager. C'est une question de hiérarchie, il faut mettre les choses dans le bon ordre, sinon on se fait dévorer, et le matériel, au lieu d'être un objet, devient sujet, au lieu d'être à notre service, devient ce qui dirige et risque de nous manger, ce serait un retournement des positions d'une manière perverse de l'ordre des choses dans le monde. Ainsi Jésus a-t-il dit : « Il faut rendre à Dieu ce qui est à dieu et à César ce qui est à César. »

Cela peut être approfondi par le fait que les « choses saintes » : dans l'Ancien Testament, désignent ce qui est réservé à Dieu, et offert en sacrifices au Temple. La mise en garde de Jésus serait alors là que ce que l'on doit normalement réserver à Dieu, il ne faut pas le donner au monde matériel. Il ne faut pas donner l'essence même de notre vie à ce qui est contingent.

Or que donne-t-on à Dieu ? Paul le dit : « Ce que je vous demande, frères, c'est d'offrir vos vies en sacrice saint et agréable à Dieu ce qui sera de votre part un culte raisonnable » (Romains). C'est donc, pour le chrétien sa propre vie. Et sa vie, il ne faut donc pas la sacrifier pour une chose matérielle qui ne vaut pas la peine, ne pas tout sacrifier pour une cause non ultime, ce qui serait ce que l'Ancien Testament appelle l'idolâtrie. Sinon, cela se retourne contre nous, et l'on se fait dévorer par ce à quoi on a consacré sa vie à tort. La question est donc de savoir à quoi nous donnons nos choses saintes, à quoi nous consacrons notre vie, notre temps, ce qui est le fonds et le sens de notre existence.

Que faire alors de ses perles ? Ne pas s'en glorifier, ni en asperger les autres, mais en chercher encore d'autres. C'est le sens de cette autre parabole de l'Evangile de Matthieu : « Le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherche de belles perles. Il a trouvé une perle de grand prix; et il est allé vendre tout ce qu'il avait, et l'a achetée. » (Matt 13:45,46). L'important, en effet, ce ne sont pas tant les perles que nous avons déjà, la perfection, la sainteté que nous avons déjà, mais tout ce que nous sommes en train de rechercher et d'acquérir. L'important, c'être toujours en quête. La foi n'est pas un acquis, mais une dynamique de recherche. Le chrétien n'est pas un collectionneur de perles, pour s'en glorifier et les exposer, mais un chercheur de perles, un quêteur de sainteté, de vérité et de beauté.

Amen.

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Matt. 7:6