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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

La poésie protestante

Prédication du Culte présidé par le pasteur Philippe François le dimanche 29 janvier 2012 à l'Etoile.

(Auteur de l'Anthologie protestante de la poésie française)

Voir ici la liturgie faite de poésie.

Chers frères et sœurs,

Comment chanter les cantiques de l'Éternel Sur une terre étrangère?

Lorsqu'en 1538, le Réformateur Jean Calvin, exilé du royaume de France puis de la ville de Genève, arrive à Strasbourg, ville de langue allemande, pour devenir le pasteur de la communauté de langue française, il est d'emblée confronté au problème de la liturgie. En quelle langue chanter, en quelle langue prier ? Quelle liturgie pour ce mouvement religieux qui en ces années 1530-1540 ne s'appelle pas encore protestantisme mais luthérisme ?

Fallait-il conserver la liturgie en latin, la langue savante, au risque d'être incompréhensible à la très grande majorité de son auditoire et de faire du christianisme une religion ésotérique ?

Fallait-il adopter une liturgie en allemand, comme à Strasbourg, ville allemande, où les psaumes de la Bible sont chantés, sur de magnifiques mélodies, dans la langue de Martin Luther d'après la traduction versifiée, du Réformateur de Strasbourg, Martin Bucer ?

Ou fallait-il créer une liturgie en français, la langue du peuple, dont Francois Ier allait faire un an plus tard la langue officielle du droit et de l'administration, en lieu et place du latin.

Le choix de Calvin allait être sans ambiguïté mais non sans difficulté. Car tout était à inventer, ou plutôt à réinventer... Chantez à l'Eternel un cantique nouveau.

Dorénavant, et c'est l'une des avancées majeures de la Réforme, tout comme les allemands, grâce à Luther, lisaient la Bible, priaient et chantaient dans leur propre langue, les protestants français liront la Bible, prieront et chanteront en français.

La Bible de référence ? C'est la traduction française menée à bien par un cousin de Calvin, Olivetan.

La théologie ? Calvin entreprend à Strasbourg la traduction, du latin en français, de son propre ouvrage : l'Institution de la Religion chrestienne. Pour ce faire, il est obligé d'inventer une langue, une syntaxe, qui n'existe pas encore, à savoir ce qu'on pourrait appeler « le français philosophique ». A partir de Calvin, on ne pense plus exclusivement en latin, mais philosopher est devenu chose possible dans la langue de Clément Marot et de Francois Rabelais.

Reste la liturgie.

Dès 1538, Calvin allait mettre en œuvre la traduction ou plutôt une paraphrase versifiée des 150 psaumes de l 'Ancien Testament, qui allait être la grande affaire poétique des débuts de la Réforme... Pour ce faire, après quelques essais personnels jugés insatisfaisants, Calvin allait solliciter et obtenir l'accord du plus grand poète de son temps, Clément Marot, qui lui, avait déjà traduit quelques Psaumes, à la demande de la sœur de Francois Ier, Marguerite de Navarre, qui elle aussi, avait été avertie de la beauté des psaumes allemands de Marin Bucer à Strasbourg.

C'est ainsi qu'au bout d'une vingtaine d'années, allait naitre, après bien des péripéties, dont la mort précoce de Clément Marot ne fut pas la moindre, le Psautier huguenot, à savoir la traduction versifiée des 150 psaumes attribués par la tradition au roi David. Ce recueil de cantique paraît dans sa version définitive en 1562, soit deux ans avant la mort de Calvin et allait devenir un véritable succès d'édition, 30.000 exemplaires rien que pour cette année 1562, irriguant spirituellement le protestantisme francophone, puis par le biais des traduction et au fil des siècles, le christianisme dans son ensemble.

L'apport des protestants à la poésie française n'allait pas s'arrêter là. Pendant les guerres de religion, le diplomate Guillaume du Bartas et le soldat Agrippa d'Aubigné vont ériger deux monuments littéraires, poétiques et théologique. Pour Guillaume Du Bartas, ce sera la Sepmaine ou la Création du monde, longue réécriture en vers du texte de la Genèse visant à présenter au lecteur tout le savoir scientifique de l'époque, alors que Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné, sur un mode apocalyptique, rendent compte des sanglantes guerres de religion qui voient la défaite du camp protestant. La Genèse et l'Apocalypse, le commencement et la fin.

Au XVIIe siècle, qui est le siècle de l'Edit de Nantes, après le Psautier de Clément Marot et Théodore de Bèze, après la Semaine de Du Bartas et les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné, le quatrième monument littéraire est l'œuvre d'un pasteur de Niort, Laurent Drelincourt, fils d'un célèbre pasteur de Charenton. Il livre toute une vie de prédication sous la forme d'une série de 160 sonnets, dont vous avez eu un exemple au moment de la lecture de la loi, 160 sonnets rigoureusement composés et classés, qui forment un chef d'œuvre de poésie précieuse.

La Révocation de l'Edit de Nantes allait marquer une rupture de cet élan créateur : mais les protestants restés en France continueront en secret pendant tout le XVIIIe siècle à chanter les Psaumes de Marot et de Bèze et à lire les sonnets de Drelincourt qui serviront de dogmatique portative à un peuple protestant privé de ses pasteurs.

Le siècle suivant, le XIXe, grand siècle de poésie, mais pauvre en terme de création du coté protestant, allait théoriser ce lien entre poésie et religion.

Dans son grand ouvrage sur l'Allemagne, Madame de Staël, écrit en 1813, « La poésie est le langage naturel de tous les cultes. »

Vingt ans plus tard, plus précis, le théologien suisse Alexandre Vinet, déclare que « La Bible est nécessairement poétique, la vérité revêtue de la parole humaine est nécessairement de la poésie. »

Puis, à la fin du XXe siècle, le philosophe contemporain Philippe Lacoue-Labarthe suggère « qu'il existe un lien entre prière et poésie ? Que la poésie en son essence serait prière et toute prière, à l'inverse, poème ? »

Chers frères et sœurs, Tout cela, ces exemples historiques et ces citations, pour dire et rappeler l'importance de la poésie dans les origines du protestantisme, qui a mis la Bible, nécessairement poétique selon Vinet, à la portée de tous, et plus spécifiquement dans le protestantisme de langue française, où le très sérieux et austère Calvin confie le travail de paraphrase des Psaumes, enjeu liturgique majeur, au très ludique Clément Marot. Ce faisant, Calvin a l'intuition que poésie et prière sont liées et que toute prière, comme le dira le philosophe, est poème, comme en témoigne le psautier huguenot.

De tout cela, chers frères et sœurs, que reste-t-il ?

Il reste des traces, en particulier les psaumes que l'on chante lors des cultes. Non pas dans la version rugueuse de 1562, mais dans une version révisée, contemporaine tout à fait honorable.

Mais on ne peut s'empêcher, tout de même, à titre d'hypothèse, de regretter le peu de place que nous, protestants, réservons à la poésie dans notre vie personnelle. Les protestants sont paraît-il de grands lecteurs. Or, les chiffres de ventes des ouvrages de théologie, qu'ils soient de type philosophique ou littéraire, sont à un tel niveau de faiblesse, les éditeurs spécialisés se débattent dans de tels difficultés, qu'il faudrait, peut-être, réviser certains lieux communs et se dire que, peut-être, et sauf exception, nous pêchons, par omission, omission de la lecture.

Et l'on dira : quel dommage.

Quel dommage que ces grandes œuvres précédemment citées soient méconnues de la plupart de nos co-religionnaires. D'autant plus dommage que ces œuvres sont facilement accessibles, en vente dans les bonnes librairies, dans des versions annotées, voire accessibles en ligne sur Internet, gratuitement, en version fac-similées des éditions d'origine. Nous n'avons aucune excuse.

Et dernier point.

Le XXe siècle a connu une sorte de renaissance de la poésie d'auteurs issus du protestantisme et dont certains, ont écrit ou traduit des poèmes à usage liturgique.

Deux exemples : la traduction des Psaumes, dans le cadre de la Bible Bayard, par l'écrivain et poète minimaliste Olivier Cadiot, faisant écho, par delà les siècles, au psautier du XVIe siècle et à ce titre, hautement recommandable. Puis, l'ouvrage du suisse Jacques Chessex, à la réputation pourtant sulfureuse, une série de poèmes bibliques, intitulée simplement Cantique.

Ce sont juste deux exemples. Ces textes existent, sont en vente libre ; il ne tient qu'à nous d'en faire des best-sellers comme nos pères le firent avec le psautier huguenot, il ne tient qu'à nous de les lire ou de les faire lire, il ne tient qu'à nous d'en retenir le meilleur, il ne tient qu'à nous de les faire vivre, afin, selon le psalmiste, de chanter à l'Éternel un cantique nouveau, nous tous, habitants de la terre, de bénir son nom, et d'annoncez de jour en jour son salut! De raconter parmi les nations sa gloire, Parmi tous les peuples ses merveilles!

Amen

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 Psaume 137: 1-4

1 Sur les bords des fleuves de Babylone, Nous étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Sion. 2 Aux saules de la contrée Nous avions suspendu nos harpes.

3 Là, nos vainqueurs nous demandaient des chants, Et nos oppresseurs de la joie: Chantez-vous quelques-uns des cantiques de Sion!

4 Comment chanterions-nous les cantiques de l'Éternel Sur une terre étrangère?

Psaume 96: 1-3

1 Chantez à l'Éternel un cantique nouveau! Chantez à l'Éternel, vous tous, habitants de la terre!

2 Chantez à l'Éternel, bénissez son nom, Annoncez de jour en jour son salut!

3 Racontez parmi les nations sa gloire, Parmi tous les peuples ses merveilles!

Ps. 137: 1-4, Ps. 96: 1-3