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La vocation de saint Hubert

Une petite théologie de la croix !

Prédication prononcée le 19 novembre 2023, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur  Louis Pernot

 

Apparitions du Christ

Saint Hubert, nous dit-on, aperçoit la croix du Christ dans les bois du cerf qu’il était en train de chasser, et il se convertit, sa vie change du tout au tout. Il faut dire que quand le Christ apparaît dans une vie, cela change beaucoup de choses. Le Christ lui-même n’apparaît que rarement aujourd’hui, dans la Bible, Jésus lui-même, après l’ascension, n’apparaît jamais, sauf à une personne : Paul. Celui-ci nous raconte sa conversion sur le chemin de Damas, il est alors en route pour aller persécuter les chrétiens, Jésus l’interpelle et, là encore, sa vie change, il se convertit, et Paul sera transformé.

On peut s’interroger, bien sûr, sur la réalité objective de ces apparitions, mais ce type de questionnement est purement contemporain. Depuis 2000 ans, tout le monde se moque un peu de savoir ce qui s’est réellement passé matériellement, ce qui compte, c’est le sens des événements tels qu’ils sont racontés, et la réalité qui a été vécue dans l’expérience personnelle et existentielle de la personne qui a expérimenté quelque chose.

Quant à la réalité de cette apparition de Jésus à Paul, on peut remettre en cause son objectivité. En effet, ce récit se trouve 3 ou 4 fois dans l’Ecriture et à chaque fois il est raconté différemment. Une fois il y a une voix, une fois une lumière, une fois une voix et pas de lumière, une fois les compagnons entendent aussi une fois non... cela ne semble pas très objectif. Et quand Paul raconte cette histoire il dit : « je connais un homme qui a été emmené au 3e Ciel, était-ce dans son corps, était-ce hors de son corps, je ne sais pas, Dieu le sait » (II Cor 12:2)... Paul lui-même, donc, ouvre la porte à la possibilité que cette apparition du Christ qu’il a vécue n’ait pas été un phénomène corporel, mais ait été hors de son corps, c’est-à-dire dans son esprit. Ce récit alors devient particulièrement intéressant, parce qu’ainsi il peut sortir du rayon « contes et légendes » pour devenir une réalité vécue, or ce qui est vécu est une forme de réalité.

De même, le récit d’apparition à saint Hubert est présenté habituellement comme une légende, personne n’y croit réellement, mais ce récit dit probablement quelque chose que saint Hubert a expérimenté d’une manière extrêmement forte et qu’il a raconté de cette manière-là.
De la même manière, je pourrais vous dire qu’à moi aussi le Christ m’est apparu... ne cherchez pas une apparition matérielle, mais je peux dire que j’ai rencontré le Christ dans ma vie, sinon je ne serais pas là à vous parler. Et je peux même dire où et quand, et même l’heure précise : un 20 octobre 1979 à 15h, dans un cours de mécanique générale, en train de multiplier des matrices 8x8, (ce qui est un ennui terrible), je ressens au fond de moi-même (j’utilise des mots que pourrait comprendre un rationaliste), je ressens au fond de moi-même un appel pressant de mettre ma vie au service de l’Evangile, comme pasteur en particulier. Et donc je dirais que j’ai entendu, comme Paul, une voix, me disant : « tu seras mon témoin au milieu du monde ». Je peux donc dire que j’ai entendu le Christ, il m’a parlé, mais non pas comme je vous parle, c’est une parole intérieure, comme je dirais qu’une histoire me parle, qu’un livre me parle, qu’une anecdote me parle parce qu’elle rencontre quelque chose de profond en moi. J’ai donc rencontré le Christ comme Paul, et j’ai entendu le Christ m’appeler comme Paul l’a entendu l’appeler à son service. En fin de compte, Christ m’est apparu pendant mon cours de mécanique, exactement comme saint Hubert a vu le Christ lui apparaître dans les bois du cerf qu’il chassait, au cours de son action de chasse.

Ce que change le Christ quand il apparaît

Nous avons là deux témoins : saint Hubert et l’apôtre Paul qui ont vu apparaître le Christ, et leur vie a été changée, mais difficile pour chacun de s’identifier à ces récits parce qu’on pourrait dire qu’ils ont eu la chance d’être les objets ces apparitions, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Mais il ne faut pas s’arrêter à cela. Nous n’avons pas à attendre que Dieu se manifeste de lui-même dans notre vie, nous avons juste à ouvrir nos yeux et à regarder le monde autrement. Ouvrir nos oreilles et entendre ce qu’il veut nous dire à notre conscience. En effet, quand on dit que saint Hubert a vu la croix du Christ dans les bois du cerf, c’est pour dire qu’il a su voir, au sein de son activité habituelle, le Christ, et c’est vers le Christ qu’il a appris à regarder même en faisant autre chose.StHubert JouveR

Cela en soi est remarquable. Parce que trop souvent, la tradition chrétienne a voulu demander de détourner son regard de la réalité concrète pour la tourner vers le ciel, se retirer du monde pour ne voir que le Christ en croix. Or, dans ce récit, ce n’est pas le cas. Saint Hubert ne se détourne pas du cerf pour voir la croix, mais il voit la croix DANS les bois du cerf, il y a une intégration du religieux dans son activité personnelle. Les légendes disent que ce jour-là saint Hubert a cessé de chasser, mais non, saint Hubert n’a jamais cessé de chasser, simplement, il a chassé autrement, au bon moment, et de la bonne manière, il a changé sa façon de vivre sa vie quotidienne. La croix n’était pas opposée au cerf, mais s’y trouvait intégrée. C’est en cela que ce type de récit peut nous concerner : comme lui nous sommes invités à essayer de voir le Christ à travers ce que nous faisons, voir le Christ à travers les personnes que nous rencontrons, à travers nos activités diverses. C’est quelque chose que nous pouvons essayer de faire activement. Paul, de même, entend Jésus alors qu’il était en chemin pour accomplir la mission religieuse qu’il s’était donné à Damas. Il n’entend pas le Christ alors qu’il aurait été en retraite dans quelque haut lieu, ou en prière dans le Temple. Jésus lui apparaît dans son chemin, et Paul continuera son chemin, mais celui-ci aura un autre but, et sa vie sera au service d’autre chose.

Voir le Christ en toute chose, c’est la base de toute vie chrétienne. Et concrètement, puisque le Christ est la parole-même de Dieu incarnée, voir le Christ en toute chose, c’est regarder le monde à travers les lunettes filtrantes de l’enseignement de l’Evangile, à travers ses commandements d’amour, de pardon, de fraternité, et également regarder le monde à travers les lunettes bienfaisantes de la grâce de Dieu, de son amour et de sa bonté qui nous remplissent de joie et de reconnaissance.

Une croix vide, sans le crucifié

Mais il faut préciser les choses, en effet, ce n’est pas vraiment Jésus qui apparaît à saint Hubert dans les bois de son cerf, mais c’est la croix, et on représente même souvent une croix nue, une croix sans Jésus. Et cela aussi en soi est un message. La croix, en effet peut nous rappeler le sacrifice du Christ, et nous pouvons ainsi être touchés par la générosité de celui qui a tout donné pour nous, par l’engagement, l’amour de celui qui nous a aimés alors que nous ne le méritions même pas et encore moins qu’il donne sa vie pour nous. Le Christ a cru ce qu’il disait, et il en a témoigné jusqu’à la mort. C’est évidemment un beau témoignage, il y a de quoi en être touché et de remercier Jésus !

Mais en fait, ce n’est pas précisément cela, car nous avons une croix vide, une croix sans Jésus dessus. C’est quelque chose auquel sont très attachés beaucoup de protestants. Dans la tradition réformée en effet (les luthériens présentent des croix avec Jésus), la croix est toujours présentée sans le crucifié dessus. Et cette croix vide est une belle idée parce qu’ainsi on ne tourne pas son regard vers un supplicié, vers la souffrance, pas d’obsession de la mort, mais on tourne son regard vers une croix vide, c’est-à-dire une souffrance qui tourne à vide, une mort qui n’emporte rien, et un mort qui est ressuscité. La croix est vide, Jésus n’est plus sur la croix, il est vivant, aux siècles des siècles, amen !

Et cette croix est un symbole extrêmement fort, car au départ, la croix est signe de mort, c’était un instrument de torture, et voilà que, comprise à travers l’histoire du Christ, elle devient un signe d’espérance. Autrement dit, la foi chrétienne ne repose pas tant sur la mort du Christ que sur sa résurrection. La résurrection du Christ, voilà le message central qui donne sens à tout, résurrection, là encore, à entendre comme vous voudrez, était-ce dans son corps, ou était-ce hors de son corps, je ne sais, Dieu le sait !

La vie qui passe par la mort

Mais en tout cas, la résurrection du Christ ne peut se faire que dans la mesure où il y a la mort, et c’est la mort qui peut alors devenir une bonne nouvelle, et il est vrai que c’est la mort qui permet de transmettre la vie. Parce que sans la mort, il n’y a pas de vie. Toute la chaîne alimentaire naturelle est construite dessus, chacun meurt pour qu’un autre puisse vivre. Et les biologistes vont plus loin et nous le disent que nous n’existons en tant qu’êtres intelligents et infiniment supérieurs à la moindre amibe ou morceau de bois ou morceau de pierre, qu’en tant que nous sommes au bout d’une longue chaîne d’évolution, et cette évolution n’a été possible que parce que la mort est arrivée dans l’histoire du vivant. C’est parce que les individus meurent et que d’autres leur succèdent, qu’il y a une possibilité de transmission et d’évolution extrêmement rapide, permettant l’émergence de l'intelligence. Ainsi biologiquement, oui, la mort est le soutien de la vie, sans la mort, la planète Terre ne ressemblerait qu’à Mars, un monde purement minéral ou très rudimentaire.

Ensuite, de toute façon, pour vivre, il faut assumer la mort. En tant que mammifères, nous donnons la vie, et nous tirons notre révérence en laissant la place aux générations suivantes, et c’est bien, et par ailleurs, nous ne cessons de devoir et de vouloir mourir pour elles. « Je me tue à la tâche » dit la mère de famille ou le père qui travaille. « Je me tue à te le dire, je m’épuise à m’occuper de mes enfants, à faire le catéchisme, ou la classe, ou à leur apprendre des choses ». Oui, c’est parce que je me tue à la tâche que mes enfants peuvent vivre, sinon, ils n’auraient rien. Autrement dit, la mort n’est qu’une manière de responsabiliser les autres, et se sachant mortel de vouloir transmettre avant de passer le relais. C’est ce qu’a fait Jésus, il a transmis, il a parlé, il a agi, il a témoigné, et il s’est retiré, laissant la responsabilité de l’Eglise à ses disciples. Nous voyons que la mort n’annule pas la vie, au contraire, elle la sublime et elle lui permet de trouver une autre manière de s’épanouir ailleurs et autrement.

Saint Hubert, voyant la croix du Christ dans la tête du cerf, voit l’image de cette mort rédemptrice, cette mort vivifiante. Ce n’est pas absurde qu’un chasseur dont l’objectif, a priori, est de donner la mort, se pose la question du sens de cette mort. Et cette croix du Christ ne l’a pas empêché à chasser, mais l’a invité à le faire autrement. En effet, la mort d’un animal peut être source de vie, parce qu’un animal, s’il est tué intelligemment peut être nourriture pour d’autres et devient source de vie. C’est le cycle normal de la nature : le lion vit de la mort de la gazelle, mais lui-même mourra nourrissant les charognards qui mourront à leur tour nourrissant les vers qui produisent la terre, donnant l’herbe qui sera sacrifiée pour nourrir les gazelles ! Mais sans doute voit-il plus que ce cycle naturel : il voit dans ce cerf que sa mort peut prendre un sens, comme le Christ lui-même est mort et que sa mort, du coup, a pris du sens. Voilà, peut-être le point fondamental de notre réflexion, c’est de savoir comment donner du sens à toute activité que nous faisons, discutable ou non. Et le sens, c’est que, toujours, quoi que l’on fasse, même s’il y a un prix à payer, une mort peut toujours se retourner vers la vie.

Être au service de la vie

Et la vie, c’est bien plus que la simple vie physique, la vie animale n’est pas sacrée, on peut tuer un animal pour se nourrir, et même pour les humains, celui qui aurait parvenu à tuer Hitler, est-ce que ça aurait fait de lui un assassin ? Non, ca aurait fait de lui un héros, un libérateur. L’important, c’est le sens que peut avoir une vie, en toute chose, il faut trouver le sens, et donner du sens. Et voir la croix dans toute activité, c’est se poser la seule question essentielle : « à qui, moi, je donne ma vie ? ». Parce que vivre, c’est donner, aimer, partager, transmettre, aider, accompagner. Et quand on met sa vie au service de cela, jusque même sa mort, on donne du sens à sa vie. La vie c’est la relation, la transmission. La vie, c’est l’engagement, c’est l’action dans un monde où je me sens responsable pour qu’il soit meilleur. La relation est une chose importante parce que je fais les choses pour donner, pour aimer, pour être en relation, pour accompagner, alors ce que je fais sera la plus belle des choses.

Contempler la croix

Mais contempler la croix du Christ n’est pas juste contempler sa mort. La croix nous dit bien plus, et la théologie de la croix n’a pas à être une obsession misérabiliste ou culpabilisante.

Dans les vieux catéchismes, on disait que nous étions sauvés par la croix, et que par elle Dieu acceptait de nous libérer et de nous pardonner nos péchés. Mais c’est du langage de sacristie qui ne parle que difficilement à nos contemporains. Pour le dire d’une manière plus courante, on peut dire que la croix nous rappelle la générosité de Jésus qui a donné sa vie pour nous, il est allé jusqu’au bout de sa mission pour nous, et nous avons donc été jugés dignes d’un magnifique cadeau. C’est ce que dit Paul : « Christ donné sa vie pour nous alors que nous étions encore pécheurs, à peine voudrait-on mourir pour un juste » (Rom. 5 :6-7). Et précisément, ce message est tout sauf de la culpabilisation : il dit que nous sommes acceptés, jugés dignes, regardés comme valables, à tel point que Jésus a considéré que nous valions bien ce cadeau de sa vie. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime. » (Jean 15 :13) a-t-il dit encore, et donc, par dessus tout, nous sommes aimés ! Quelle merveille. Que la croix vous rappelle ainsi tous les jours, et dans toute activité : soyez heureux, sentez-vous libres, acceptés, pardonnés, libérés et aimés !

Ensuite, Jésus est un formidable exemple. Exemple de générosité, allant jusqu’à se sacrifier pour nous. Jésus est certes un sauveur, mais il est en plus un type formidable ! Il est pacifique, généreux, intelligent, fort, et en même temps plein de douceur, de compassion, et de compréhension. Et il ne demande rien en retour. Rien d’autre que nous l’acceptions dans notre vie, comme une composante de toute activité que nous pouvons faire.

Et ainsi, nous devons en tout voir la croix à travers chaque chose, et dans toute activité pour la vivre d’une certaine manière, comme Jésus l’a prêché et démontré : dans la générosité, l’attention à l’autre, l’accueil, le don, le partage, l’amour.

Et ça c’est un sacré message de vie. Ca change toute une vie, ça transforme toute activité même profane en acte religieux, cela peut contribuer à changer le monde. Cela donne du sens à tout ce que faisons, donne du sens à une vie. Et donne une joie infinie !

Louis Pernot

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Actes 9:1-9

1Cependant Saul, qui respirait encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur, se rendit chez le souverain sacrificateur 2et lui demanda des lettres pour les synagogues de Damas, afin que, s’il y trouvait quelques-uns, hommes ou femmes, qui suivent cette Voie, il les amène liés à Jérusalem.
3Comme il était en chemin et qu’il approchait de Damas, tout à coup une lumière venant du ciel resplendit autour de lui. 4Il tomba par terre et entendit une voix qui lui disait : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? 5Il répondit : Qui es-tu, Seigneur ? Et le Seigneur dit : Moi, je suis Jésus que tu persécutes, [il te serait dur de regimber contre les aiguillons. Tout tremblant et stupéfait il dit : Seigneur que veux-tu que je fasse ? Alors le Seigneur lui dit] : 6Lève-toi, entre dans la ville, et l’on te dira ce que tu dois faire. 7Les hommes qui voyageaient avec lui s’étaient arrêtés, muets de stupeur ; ils entendaient la voix, mais ne voyaient personne. 8Saul se releva de terre, et, malgré ses yeux ouverts, il ne voyait rien ; on le prit par la main pour le conduire à Damas. 9Il fut trois jours sans voir, et ne mangea ni ne but.

 

Actes 9:1-9