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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

La Samaritaine

 

Jean 4:3-15

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Jésus traverse la Samarie, y aborde une femme et engage une conversation bien tendue sur la manière d'obtenir la grâce : voilà ce que l’évangile de Jean nous relate ici ! En réalité, Jésus passe là par un environnement considéré comme hostile par les Juifs, que ces derniers évitaient d’ailleurs de traverser, car Juifs et Samaritains se détestaient depuis longtemps. La Judée (au sud) et la Galilée (au nord) étaient séparées par la Samarie. Ces peuples étaient certes de la même origine, mais la rivalité entre les royaumes du Sud et du Nord, respectivement Juda et Israël, était très ancienne.

Les Samaritains étaient un peu ce « peuple de la terre », resté sur place quand l’élite de Jérusalem avait été déportée à Babylone (pendant « l’Exil » vers -500). Le temple, lieu d'adoration de Dieu à Jérusalem, avait alors été détruit, et ceux qui étaient restés plus au nord continuaient d'adorer Dieu sur une montagne (le mont Garizim), comme ils l'avaient toujours fait. Plus tard, ces Samaritains en étaient restés à leurs anciennes croyances et n’avaient pas accepté la « modernisation » de la religion faite au retour d’Exil (réforme d’Esdras en -458).

Pour aller de Jérusalem, en Judée, jusqu'à Nazareth, la ville de Jésus en Galilée, les Juifs longeaient alors généralement la vallée du Jourdain, fleuve aboutissant à la Mer morte en passant par le lac de Tibériade (ou Mer de Galilée), à l’est de ces deux régions, afin de ne pas rencontrer les Samaritains.

Mais Jésus, quant à lui, prend un raccourci pour retourner en Galilée, et il n’hésite pas à passer par la Samarie. Jésus est donc déjà montré comme ne partageant pas les préjugés racistes de son peuple et il fait preuve d'une ouverture d'esprit particulière, provoquant ainsi l'étonnement de la Samaritaine. Jésus a de la considération pour tout le monde, et il parle même à ceux à qui on ne parle pas habituellement.

Il est précisé que cette rencontre se déroulait à la 6e heure. On divisait alors la journée en douze heures (de 6h du matin à 18h), donc la 6e heure, c’était l'heure de midi, moment le plus chaud de la journée, il semble donc logique que Jésus ait simplement soif. Demander à boire dans ce contexte ne devrait donc pas prêter à confusion.
Mais très vite, on peut penser qu'un quiproquo s'installe entre Jésus et la Samaritaine. « Si tu savais qui je suis, c’est toi qui m’aurais demandé à boire », dit Jésus. Il ne parle pas d’eau matérielle évidemment. Il passe au symbolique. La Samaritaine comprend-elle qu'il faut entendre les propos de Jésus allégoriquement, comme une image ?

L'eau est un symbole récurrent dans la Bible, un symbole double même : en grande quantité, elle représente la mort (la mer, le déluge), mais en petite quantité, l’eau, c’est la vie, une source dans le désert, cette pluie qui fait fleurir la terre aride et la rend verdoyante. L'eau est le symbole de ce qui peut apporter la fécondité. Ainsi ce proverbe touareg : Aman iman, l’eau, c’est la vie.

Jésus utilise ici cette image de la soif, de ce désir ardent de quelque chose, pour dire notre désir et notre besoin d’amour, de pardon, d’espoir, de consolation, de tendresse, de paix, de bonheur. Jésus peut nous abreuver en nous donnant toutes ces choses en abondance, ces choses étant aussi importantes et nécessaires que l’eau pour vivre !
Sans Dieu, la vie peut paraître desséchée, et perd sa source de vie : sans Dieu, sans foi ou sans espérance ou amour, la vie devient sèche et pauvre. Elle ne donne plus de fruits ou de belles choses.

Dans la Bible, l’eau représente souvent la grâce de Dieu, la grâce qu’il nous donne, son amour. Et cet amour est gratuit, comme la pluie qui arrose le jardin. Et il est inconditionnel : la source donne son eau à tout promeneur, qu’il soit bon ou mauvais, et il pleut autant dans le jardin du juste que dans celui de l’injuste (cf Matt. 5:45 : « afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes »). L’eau ainsi donnée est signe de la grâce (« grâce » a la même origine que « gratuit »), et de l’amour de Dieu. Ce symbole est repris par l’Église pour le baptême : la grâce et l’amour de Dieu sont donnés inconditionnellement, même à un petit bébé qui n’en a pas conscience et qui n’a encore ni mérité, ni démérité.

Avoir de l’eau dans le désert, cela change tout, comme avoir de l’amour dans sa vie. Sans amour, on se dessèche et on meurt. La grâce de Dieu est donc une source indispensable d’amour et de tendresse. Elle change tout, mais pourtant, elle respecte le terrain : en effet, l’eau ne crée pas les plantes, elle fait juste grandir les graines qui s’y trouvent, la pluie permet aux graines de se développer. De même la présence de Dieu ne nous change pas, ne nous transforme pas de force en chrétiens modèles, mais cette grâce peut permettre de déployer le meilleur en chacun, pour que sa vie devienne bonne et féconde, pour lui et pour le monde, elle permet juste de mieux grandir et s'épanouir.

Ainsi, la Samaritaine avait peut-être parfaitement compris que Jésus proposait quelque chose de nouveau. Quand elle dit puiser dans le « puits de Jacob » (qui ne fait référence à rien dans l'Ancien Testament), elle est certainement déjà dans le registre du spirituel, dans cette logique juive traditionnelle qui pense qu'il faut puiser dans les ressources des patriarches (Abraham, Isaac, Jacob, la Loi de Moïse, etc.) pour y chercher une bénédiction lointaine et profonde en obéissant aux commandements anciens. Et elle a du mal à croire que Jésus puisse offrir cette grâce sans la contrepartie de pratiques, de rites et d'observances.

Par ailleurs, cette scène en rappelle une autre, bien plus ancienne, celle du serviteur assis au bord d’un puits demandant de l’eau à Rebecca pour faire d’elle l’épouse d’Isaac, le fils de son maître (Gen. 24). Ici, Jésus se pose donc vraiment en serviteur, comme celui qui donne l’eau, et la Samaritaine entre en dialogue avec lui, réagit, pose des questions, ce qui lui permet d’entrer dans une certaine relation d’intimité avec Dieu, cette relation que Jésus propose justement à l’humanité si nous voulons bien dialoguer avec l’Évangile.

Jésus se présente comme la source d'eau vive, cette eau vive de la bénédiction : il nous donne le bonheur d'avoir toujours une source avec nous dans le désert que nous traversons, on porte Dieu avec soi dans son cœur, et quoi qu’il arrive, on a en lui une petite source personnelle d’amour et de confiance. Et Jésus sait parfaitement que les choses matérielles ne nous satisfont jamais totalement, on en veut toujours plus, alors que le bonheur que nous offre le Christ est un bonheur dont on profite pleinement et qui comble durablement. Et la personne qui reçoit cette source devient elle-même une source pour les autres, pour redonner de l’amour.

En effet, Jésus est celui qui d'abord demande à boire dans ce récit : cela peut sembler curieux alors qu'il est lui-même la source, la source dont la Samaritaine a besoin pour vivre, puisque c'est Jésus qui peut donner l'eau vive. N'est-ce pas une manière d'éviter toute relation infantilisante à Dieu, de qui on attendrait tout, et à qui on pourrait demander sans cesse n'importe quoi ? Chacun semble ainsi pouvoir faire quelque chose pour les autres et prendre part à une œuvre créatrice, et en cherchant à donner l'amour, la paix, l'espérance, la joie, on se rendra compte de la nécessité de puiser à la source d'eau vive, source gratuite, et d’apporter à notre tour aux autres ce que nous-mêmes attendons de Dieu, en nous mettant au service les uns des autres.

Dans le même sens, un peu plus loin, en Jean 7:37-38, Jésus dira lors d’une fête : « Le dernier jour, le grand jour de la fête, Jésus, se tenant debout, s'écria : si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive couleront de son sein, comme dit l'Écriture. »

Louis Pernot - Muriel Bernhardt