Skip to main content
56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Choisir la vie

par Louis Pernot - été 2017

 

Le Nouveau Testament a certainement été écrit alors que les chrétiens vivaient dans un environnement qui leur était largement hostile. Ils affrontaient humiliations et persécutions. La conversion des nouveaux ne se faisait pas sans conflit dans la société et dans les familles. Ce bout d’évangile semble rendre compte de ce climat, des préoccupations, de l’hostilité que les premiers chrétiens affrontaient. Mais sommes-nous encore concernés ?

« Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; qui aime son ls ou sa lle plus que moi n’est pas digne de moi. Quiconque ne prend pas sa croix et vient à ma suite n’est pas digne de moi. Qui aura assuré sa vie la perdra et qui perdra sa vie à cause de moi l’assurera.... « Quiconque donnera à boire, ne serait-ce qu’un verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, en vérité, je vous le déclare, il ne perdra pas sa récompense. » (Matthieu 10 versets 37 à 42)

Voilà un passage bien peu évangélique ! Porter sa croix, perdre sa vie...qui aurait envie de suivre Jésus dans de telles conditions ? Nous sommes devant un texte qui nous heurte. Il nous faut l’affronter. Nous aimerions tant trouver dans la Bible juste ce qui nous plaît, ce qui nous conforte. Certes nous y trouvons des paroles qui nous réconfortent, mais le texte biblique est aussi là pour nous bousculer, pour nous apprendre à vivre. Et la vie n’est pas un long fleuve tranquille ! Les obstacles, les tumultes, les échecs, l’adversité en font partie. Dans nos existences nous sommes invités à assumer nos convictions, à faire des choix, à nous engager. Parfois cela semble léger, joyeux, mais cela peut être beaucoup plus coûteux. C’est ce que Jésus exprime. Pourtant, il ne faudrait pas se méprendre, se laisser tenter par une lecture trop littérale. Ces interprétations simplistes qui ont bien trop servi les religions voulant asseoir leur pouvoir à justifier le malheur au lieu de le combattre. « Porter sa croix » ne signifie nullement souffrir à tout prix, encore moins que la souffrance puisse avoir des vertus salvatrices. « Perdre sa vie » ne signifie pas mourir physiquement. C’est un appel à laisser mourir tout ce qui en nous nous enferme, tous nos penchants morbides. Lorsque le seul but de notre vie c’est de la conserver, c’est là que nous risquons de la perdre complétement. Mais dès lors que nous acceptons de perdre, nous pouvons faire de la place à un Autre, accueillir les autres. Accepter de perdre c’est reconnaître que nous ne sommes pas tout-puissants, que nous sommes seulement humain, mais pleinement humain. C’est le paradoxe de la vie pour vivre il nous faut accepter notre finitude, et également accepter de faire mourir notre part d’ombre pour ressusciter et nous tourner vers la vie. C’est déstabilisant, exigeant, mais c’est la valeur de la vie.

Il suffit d’un verre d’eau

Après l’exigence maximale, voici le minimum souhaité : un simple verre d’eau. C’est le grand renversement et ce n’est pas le moindre des paradoxes de l’Évangile, car simultanément est mise en place une tension entre le trop et le pas assez, et le disciple devient le petit. Comme pour ne jamais nous écraser et certainement aussi pour éclairer différemment ce que nous venons d’entendre, nous inviter à réinterpréter. Entre ce qui nous semble presque impossible et ce qui est trop facile, comment s’y retrouver ? Jésus est d’une exigence maximale, avec ses proches, il leur fait confiance, il a besoin d’eux. C’est une bonne nouvelle, avec Christ, nous sommes qualités pour faire encore plus et encore mieux. Mais, au final c’est le disciple qui devient le petit, il est non plus celui qui donne mais celui qui reçoit. N’est-ce pas cela perdre, ici non pas sa vie, mais son statut ? Accepter les renversements. Notre petitesse, notre faiblesse peut devenir une force.

Ce texte nous rappelle une actualité brûlante et tragique

Comment oublier qu’aujourd’hui encore certains chrétiens, de par le monde, pour fuir les persécutions doivent tout abandonner, au risque de perdre leur vie, leur famille ? Ils ne l’ont pas choisi, mais ils refusent de renier leur foi. Quelles que soient nos forces ou nos faiblesses, nous pouvons porter un bout de leur croix en les accueillant. Serons-nous capables d’offrir plus qu’un verre d’eau ?

Florence Blondon

 

La Communion

 

Lors de son dernier repas, Jésus offre le pain et le vin à ses disciples et leur dit : « Prenez et mangez, ceci est mon corps donné pour vous... faites ceci en mémoire de moi. ». En général on comprend ces paroles comme l’institution d’un rite qu’on quali era de sacrement : geste à répéter disant la grâce de Dieu offerte à tous. Pourquoi pas, mais par quel mécanisme ce rite peut- il donner la grâce ou la présence réelle de Dieu ? Il y a plusieurs réponses possibles.

La Cène comme médicament

La première et la plus classique est de considérer que l’ingestion d’une hostie est efficace comme le fait de prendre un médicament : si le pain est le corps du Christ, en le mangeant, on met la présence du Christ en soi, c’est mécanique. Dans cette optique, il faut pratiquer autant que possible pour conserver cette source de vie.

Critique des Réformateurs

Les Réformateurs n’ont pas voulu voir dans le pain et le vin les enjeux essentiels de la présence réelle mais ont affirmé que celle-ci se trouvait plutôt dans la Bible lue. Ainsi, pour pouvoir se rapprocher de Dieu et du Christ, il suffit de lire l’Écriture, ce qui peut se faire chez soi. Il n’y a plus de médiation obligatoire de l’Église, ni de pratique indispensable dans une liturgie. Mais néanmoins, les Réformateurs n’ont pas envisagé de se passer de ce sacrement de la communion, c’est qu’ils y voyaient tout de même une utilité.

L’interprétation symbolique

Pour beaucoup de protestants, cette présence du Christ dans les espèces est avant tout symbolique. Mais un symbole n’est pas rien. Si par exemple quelqu’un montre une photo de lui, il pourra dire : « c’est bien moi, c’est réellement moi », quand bien même on sait que c’est lui sans être lui, puisque qu’en fait, c’est une photo, un bout de papier. Mais si quelqu’un met cette photo dans un cadre pour l’admirer ou se réunit avec quelques malfaisants pour cracher dessus et la déchirer, ce qui est en jeu là, c’est la personne représentée par la photo et non le papier lui-même. Ainsi en est-il du pain et du vin, matériellement, ce ne sont que des aliments, mais on peut en dire : « c’est le corps du Christ, c’est le sang du Christ ». Et l’humain a besoin de symboles, besoin de gestes, tout ne passe pas par l’intelligence, et participer à la communion, c’est vouloir vivre avec son corps cette bonne nouvelle que Christ se donne à nous pour que nous le mettions en nous comme une source de vie et d’espérance, de force et de joie.

Dimension communautaire

Un autre sens est la dimension communautaire. Communier, c’est aussi s’unir les uns avec les autres autour d’une même source qui est la présence du Christ. Or la communion humaine est très importante, on ne peut pas juste lire la Bible seul dans son coin, on a besoin de relation, d’amitié, de dialogue et de la confrontation avec les autres.

Communion comme mémorial

On voit donc que contrairement à ce qui est parfois affirmé, la communion n’est pas pour les protestants un simple mémorial. Elle est évidemment bien plus qu’un simple moyen mnémotechnique. Mais peut- être que ceux qui affirment ça, le font pour dire qu’il n’y pas chez les protestants de notion de sacrifice. Jésus s’est offert pour nous une fois pour toute, et le sacrement n’est pas un « sacrifice offert ». D’ailleurs, on parle plus de « table de communion » dans nos temples que d’« autel ». Et on pourrait accepter cette idée de mémorial si c’est dans le sens de toutes les fêtes juives qui sont les mémoriaux : Pâques pour se souvenir de la sortie d’Égypte, Pentecôte pour rappeler le don de la Loi etc. Pour la tradition juive, cette idée de mémorial est très forte et se résume par : « souviens-toi de cela et enseigne-le à tes enfants ». Il s’agit d’un passé fondateur qui est appelé à rester vrai. Ainsi le Christ qui s’est donné pour nous, est l’événement fondateur, en faire une grande fête à l’image des fêtes juives est affirmer que cet événement est appelé à rester vrai. Le Christ continue de se donner pour notre vie, il est notre force et notre joie. Aujourd’hui encore, nous nous retrouvons unis autour du Christ, source de notre force, de notre joie et de notre vie. Il est bon de le rappeler, de le vivre et d’en témoigner, et pas seulement par des mots, mais aussi avec tout notre corps.

Louis Pernot