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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Genealogie de Jesus-Christ

par Florence Blondon (décembre 2012)

 

 

"Généalogie de Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham"  Matt. 1,1

Quelle idée déroutante de commencer un livre par une généalogie. Pourtant cette longue suite d’engendrements inaugure le Nouveau Testament. L’auteur serait-il si mauvais ? Incapable d’interpeler son lecteur ? Ou
ien nous demande-t-il un peu d’attention, d’exigence dans notre lecture ? Faisons donc ce pari, et attachons-nous à explorer de texte. Peut-être pourrons-nous trouver du sens au cœur de ce qui semble bien obscur.

Le tout premier mot nous donne un éclairage: "généalogie", qui peut églamenet être traduit par "genèse". C'est le même mot qui est employé dans le livre de la Genèse, en ouverture du deuxième récit de la création : « Voici la genèse des cieux et de la terre » (Gn 2,4). Il nous indique que nous sommes dans un nouveau commencement instauré par Jésus. C’est tout de suite renforcé par l’appellation Christ, traduction grecque du mot messie. À travers ce titre, Matthieu nous présente Jésus comme le messie, celui annoncé par les prophètes et attendu par tout un peuple. C’est donc avec grande logique qu’il l’inscrit dans une filiation qui part d’Abraham en passant par David, puisque c’est à cette lignée que le messie promis par Ésaïe devait appartenir. Pourtant, il faut reconnaître qu’au sein de cette généalogie se concentre toute la violence de l’histoire du peuple juif. Pour exemple la plupart des rois présents ont fait ce qui « ce qui déplaisait aux yeux de l’Eternel », comme nous le rapporte les livres des Rois ou des Chroniques. Ainsi les ascendants de Jésus sont bien loin d’être des saints.
Mais là encore en creusant on découvre des choses étonnantes, particulièrement si l’on s’attache aux femmes présentes dans cette longue litanie. Dans les généalogies la mention de femmes n’est jamais anodine. Elles sont toujours présentes pour nous alerter. Si nous nous focalisons sur ces quatre femmes, leur histoire est toujours en lien avec le sexe et la mort.

Tamar

qui sera marquée par la mort de ses deux premiers maris. Du sexe également puisque pour réussir à avoir un enfant, elle va se déguiser en prostituée, pour séduire et surtout faire reconnaître la faute de son beau-père. (Voir Genèse 38)

Rahab

qui accueille les espions hébreux, juste avant la destruction de Jéricho. Autour d’elle également du sexe puisqu’elle est prostituée, et la mort, car elle sera avec sa famille la seule rescapée de la destruction de sa ville. (Voir Josué 2 et 6)

Ruth

la mort de son époux, et la famine la mèneront au jeu de la séduction, toujours pour avoir une descendance. Si la tradition a su retenir d’elle la figure de la prosélyte, la poésie ne s’y est pas trompée, et Victor Hugo a su traduire en vers toute la charge érotique de l’histoire de cette femme se couchant au pied du riche vieillard. (Voir Ruth)

Et enfin

sexe et mort rode autour de celle qui n’a même pas le mérite d’être nommée, femme objet de la convoitise de David. David qui enverra son époux Urie vers une mort certaine. Elle perdra son premier enfant avant d’engendrer Salomon. (Voir 2 Samuel 11 et 12)
Si la présence de ces femmes témoigne de l’ambigüité des engendrements humains, elles sont avant tout des figures de combattantes pour que la vie puisse advenir, coûte que coûte. Rien ne peut les arrêter dans leur désir d’engendrer, non pour elle mais pour assurer la survie de la lignée. Lorsque l’on sait que dans le monde de l’Ancien Testament l’idée d’immortalité était entièrement liée à la descendance on comprend l’importance de leur présence, et les brèches qu’elles ont ouvertes.
Il est également important de faire le lien entre ces femmes et Marie. En nous focalisant sur le caractère illicite de la conception de Jésus, qui n’est pas sans évoquer les épisodes qui entourent les naissances précédentes. On peut dire que scandaleux ou non, Dieu est capable de vaincre tous les obstacles pour que se réalise le chemin qui mène au messie.
Mais au sein de cette généalogie s’opère un décrochage, car l’auteur nous annonce 42 générations et si l’on compte ; il n’y en a que 41. Ne sait-il pas compter ? C’est peu probable.
Ce manque laisse place au souffle, c’est-à-dire à la vie. Il nous affranchit de toutes les répétitions mortifères. Dans ce manque se dessine une autre origine, une autre parole vient s’inscrire comme pour nous dire qu’au cœur des déterminismes les plus forts Dieu vient nous libérer.
Il y a un second décrochage au terme de la généalogie, car Jésus n’est pas le fils biologique de Joseph. Joseph qui saura discerner dans la grossesse de sa fiancée non pas une faute, mais l’intervention de Dieu dans l’histoire de son peuple.
Et Jésus sera bien fils, mais fils de qui ? Fils d’Adam, fils de Dieu, comme nous l’indique la fin de cette autre généalogie, celle de Luc (Luc 4,38). Replaçant ainsi Jésus au commencement, inscrivant ainsi tout humain dans cette lignée, et nous invitant à reconnaître en Dieu notre Père.

Florence Blondon