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Perdre la foi, est-ce grave ?

par Alain Houziaux (mai 07)

 

Disons-le tout net, il est rare que l'on perde « la foi » tout simplement parce qu'il est rare que l'on ait eu vraiment la foi. Le plus souvent, on « perd la foi » quand on ne l'a jamais eue vraiment. On a fréquenté l'instruction religieuse, on a fait sa première communion, éventuellement on a même eu quelques élans mystiques. Mais, par la suite, il y a seulement une forme d'adhésion à une tradition et à une éducation. Beaucoup de fidèles de nos Eglises auraient beaucoup de mal à dire s'ils ont la foi ou non..

Et dans ce cas, la perte de cette pseudo-foi n'est en aucune manière une rupture, ni même une séparation. Elle est simplement l'expression ultime d'une forme de désintérêt et d'indifférence.

Mais qu'en est-il lorsque ce que l'on perd, c'est vraiment une foi vraie et authentique ?

Première remarque. Perdre la foi, c'est perdre le besoin de croire. Ce qui suscite la foi, c'est d'abord le besoin de croire. Il y a chez la plupart des êtres un besoin de croire qui est aussi fort que le besoin de savoir ou le besoin d'être aimé. Il est fort chez l'enfant et il subsiste chez l'adulte. Il se manifeste dans le champ du religieux, mais aussi dans celui des convictions politiques, idéologiques et morales. Et ce besoin de croire suffit à alimenter la foi. Ainsi le croyant, s'il a un réel besoin de croire, continuera à prier et à demander une guérison même si sa prière ne produit aucun effet visible.

Et la foi meurt lorsque le besoin de croire n'est plus aussi vif. Dans ces conditions, peut-on dire que perdre la foi soit grave ? Pas tellement, pourrait-on dire, puisque la foi ne répond plus à un besoin. Mais ce n'est pas si simple. Freud le dit lui-même, le besoin de croire est l'une des formes de la pulsion de vie (Eros). Et c'est pourquoi, la perte du besoin de croire peut être assimilée à une forme de perte du désir et de la pulsion de vie. La foi est l'expression d'une forme de soif, d'espérance, de générosité et d'idéalisme. Elle n'est pas seulement l'opium du peuple, elle est aussi son aiguillon.

Se demander « Perdre la foi, est-ce grave ? » revient à poser la question « perdre le désir, est-ce grave ? » ou « devenir indifférent, est-ce souhaitable ? ». Et même si le bouddhisme, le stoïcisme et certains courants mystiques chrétiens prônent volontiers le détachement, il n'en reste pas moins que l'indifférence a incontestablement un goût de cendres.

Deuxième remarque. Certains diront que c'est une bonne chose de perdre ses croyances parce qu'ils les considèrent comme des illusions fallacieuses. Mais même si on considère les croyances religieuses comme des illusions, il n'est pas forcément souhaitable de les perdre. Pour Nietzsche, il y a une « nécessité vitale de l'illusion ». Pour lui, le pouvoir créateur de l'imagination doit s'exprimer même s'il s'oppose à la vérité. Pour Freud, en revanche, il faut en tout état de cause choisir « la vérité » contre le plaisir de croire, et ceci implique un travail de deuil vis-àvis de ses croyances.

Troisième remarque. On peut se demander si la perte de la foi en Dieu est beaucoup plus grave que le fait de cesser de croire au Père Noël. En fait, si les psychologues restent discrets sur le traumatisme de la mort du Père Noël, c'est peut-être tout simplement parce que ce n'est pas vraiment un traumatisme. Et la perte de la foi en Dieu n'est peut-être pas plus traumatisante.

Mais la foi en Dieu est plus utile, et plus vraie ( !) que la foi au Père Noël. Placer sa vie sous le ciel de Dieu, c'est lui donner une certaine hauteur. C'est lui donner une dimension supplémentaire. C'est la placer sous le ciel de l'éternité. Et cela nous appelle à donner de l'importance à l'invisible.

Bien sûr la foi est quelquefois une forme de crédulité en des articles de foi bizarres et plus ou moins superstitieux. Mais elle peut être aussi une énergie, une force motrice qui permet de déplacer des montagnes. Et la perte de la foi peut être vécue comme un effondrement. On tombe de haut, comme on dit. On a l'impression que le sol s'effondre sous ses pas. Mais on peut constater que, plus que la perte des convictions religieuses, c'est la perte des convictions politiques qui est vécue de manière traumatisante.
 

Petit message à ceux qui ont perdu la foi

a. Beaucoup de ceux ont perdu la foi peuvent continuer à dire, comme Camille Claudel, « il y a toujours quelque chose d'absent qui me tourmente ». On peut avoir perdu la foi tout en continuant à être tourmenté par ce « quelque chose d'absent ». Et cette « absence » peut même devenir le moteur d'une réflexion. On peut avoir perdu la foi et continuer à avoir le sens de l'inquiétude spirituelle.

b. Le fait d'avoir des convictions est en fait une affaire de tempérament. On a des convictions parce que c'est dans son tempérament. Et quoi qu'il advienne, même si on perd la foi, on garde des convictions. Les enfants de pasteurs perdent souvent la foi de leur enfance et de leur éducation, mais ils sont souvent, beaucoup plus que la moyenne des jeunes de leur âge, engagés dans le domaine de la politique, du syndicalisme et des problèmes de société. Ils ont perdu la foi, mais ils ont gardé les convictions qui, peut-être, sous-tendaient leurs croyances ou qui étaient véhiculées par leurs croyances. Et ils n'ont pas forcément perdu au change, loin de là ! Marcel Gauchet dit que l'engagement politique est la nouvelle « vêture » de la religion lorsque celle-ci se perd. Ceux qui perdent la foi religieuse découvrent souvent une nouvelle foi, sans doute plus laïque, mais tout aussi forte que leur foi religieuse. Les Rocard, Jospin et autres en témoignent.

c. La perte de la foi peut susciter un traumatisme. Mais elle peut aussi être vécue de manière tout à fait positive comme une nouvelle naissance et comme une découverte de la vraie vie. Une étude a été faite sur les « conversions » à l'athéisme. Ce phénomène touche essentiellement des adolescents et des jeunes adultes de sexe masculin. Et on a pu constater que ces jeunes gens avaient l'impression de retrouver une forme d'authenticité et de devenir enfin eux-mêmes. Ils en retiraient un sentiment de sérénité, de paix intérieure et de réelle libération. Ils avaient l'impression de cesser de se forcer et peut-être même de tricher.

Alain Houziaux