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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Peut-on tout dire devant Dieu ?

par Florence Blondon (juin 2011)

 

lecture du psaume 58

 

Bien des psaumes nous agressent, nous choquent. La violence qu'ils expriment nous apparaît comme contraire au message de l'Evangile. Pourtant, si ces psaumes peuvent sembler difficilement audibles, en inscrivant la violence au coeur même de la prière, ils permettent à l'humain de se présenter devant Dieu tel qu'il est, et de ne pas rester insensible aux souffrances qui nous entourent. Lorsqu'ils sont compris dans le mouvement même de la prière, ils peuvent nous interpeler, nous questionner, nous bousculer.

Ces appels à la vengence sont choquants. On a toujours eu la tentation d'opposer le Dieu de l'Ancien Testament, Dieu de colère et de condamnation, à celui du Nouveau Testament, le Dieu de Jésus-Christ, tout amour. Mais, cette oppositiion, somme toutes assez fréquente, revient en réalité à un "bithéisme". Elle n'est certainement pas la voie pour résoudre le problème que la violence des paroles de ce psaume pose à notre foi.

Si la joie quasiment sadique du juste : "le juste se réjouira en voyant la vengeance, il lavera ses pieds dans le sang des méchants" (11) nous agresse, on trouve dans l'Apocalypse des passages d'une violence extrème. Les paroles de Jésus dans le jugement dernier (Mt 25:31ss) sont loin d'être douces. Si dès les débuts du christianisme il y a eu des tentatives d'expurger les passages qui nous gênent, la toute jeune Eglise a fait le pari audacieux de tout conserver. A notre tour de ne pas les ignorer. Nous devons tout de même admettre que de tels textes nous heurtent. Alors nous faut-il les accepter tels que, en faire une lecture fondamentaliste et punir les méchants, se réjouir de leur mort, surtout si elle est violente ?

Personnellement, je crois profondément que la récompense de la lecture attentive de la Bible est de nous guérir des représentations faciles, de leurs automatismes, en y substituant d'autres propositions plus lentes à naître, mais plus concrêtes et plus productrices.

Dans ce psaume, une situatiuon critique est introduite dès le début : il n'y a plus de justice sur terre. la question posée est récurrente dans les Psaumes et chez les prophètes : pourquoi les méchants, c'est à dire ceux qui commèttent l'injustice, prospèrent-ils ? Nous avons tous en tête des exemples d'injustices qui nous ont révoltés et nous révoltent encore. Et cette capacité d'indignation est tout à fait positive. Dès l'enfance nous nous révoltons contre l'injustice, cette révolte est salutaire, indispensable. La haine du mal, ainsi que la haine de ceux qui causent le mal n'est pas censurée dans les psaumes. Et cette colère s'exprime aussi avec des mots : pour ne pas haîr, il faut parler ! Sans parole, il n'y a que deux issues : le refoulement ou le passage à l'acte, c'est à dire la vengeance. Ce sentiment de vengeance n'a pas bonne presse. Mais se contenter de culpabiliser ne résoud rien. Niée, refoulée, la violence n'en est que plus pernicieuse, elle va alors chercher en nous d'autres voies pour s'assouvir.

Alors, entre refoulement et passage à l'acte, que pouvons-nous faire ? Les psaumes nous invitent à suivre une autre voie, ils nous invitent à en parler à Dieu. Prendre la parole pour dire à Dieu la haine qui envahit tout notre être , c'est déjà une tentative pour tenter de l'humaniser, de la dompter, de l'empêcher d'avoir prise sur nous. Reconnaître que nous sommes humains, jusque dans le désir de vengeance, c'est déjà nous rendre capables d'inventer d'autres issues que la violence. Se placer devant Dieu, tels que nous sommes , c'est ne pas succomber à l'isolement, c'est la voie de la vie. Les cris du psalmiste nous permettent de nous voir sans illusion, mais avec beaucoup d'espoir, avec espérance en Dieu.

D'ailleurs, le psalmiste, en se plaçant devant Dieu, ne demande pas à Dieu de tirer vengeance lui-même. Il s'en remet à la justice de Dieu, ainsi, la violence qui résulte de l'injustice n'est plus niée, elle n'est plus refoulée.

C'est dans l'espace de la prière que nous pouvons crier nos révoltes, car Dieu est concerné par la violence, il connaît la souffrance des victimes d'injustices, de sévices, et il connaît la rage de vengeance qui découle de ces crimes. Dire notre révolte permet de maintenir en nous le refus du mal, de lutter contre l'indifférence vis-à-vis de Dieu à cause de son absence apparente, d'affronter le doute. Dire notre révolte nous maintient dans la proximité de Dieu. L'auteur de ce psaume est dans la proximité et la confiance.

Il n'en peut plus de l'injustice. Car, derrière la violence de cette prière, s'exprime une demande de réparation. Le mot que l'on traduit par "vengeance" est celui de "rétribution". Cette rétribution est bien plus proche de la justice : "En vérité, est-ce en vous taisant que vous rendrez justice ?" (2)

On ne connait rien de la situation de celui qui prie, mais nous le savons, se taire face à l'injustice entraine une violence encore pire. Il ne s'agit donc pas de donner libre cours à des fantaisies de vengeances, mais bien de rétablir le droit à travers la justice salvatrice de Dieu.

On peut entendre cette lamentation comme un cri de justice vers Dieu dans un monde empli d'injustices. Et, si le psalmiste crie son désir de rétribution devant Dieu, rien ne nous est dit sur la manière dont lui-même se venge !

Le psaume a une fonction thérapeutique : en se plaçant devant Dieu, en lui déversant notre haine, nous prenons une distance salutaire, qui nous permet de ne pas passer à l'acte "à chaud". De comprendre toute la différence entre la vengeance et la justice. Il nous invite à nous déplacer sur une ligne de crête : entre notre prétention à la vengeance et le renoncement à la vengeance, et au passage se saisir de la vraie signification du mot "justice".

Fonction thérapeutique mais aussi pédagogique : ce psaume apprend à celui qui souffre à exprimer ses craintes dans la prière et à ne pas laisser ses relations avec les ennemis en dehors de sa relation à Dieu. Dieu n'est jamais insensible à la souffrance de ses créatures. Il est un Dieu d'amour et de justice.

Florence Blondon