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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Qu'est-ce qu'aimer ?

par Louis Pernot (décembre 08)

 

L’« amour » est un lieu si commun de la prédication chrétienne que l’on finit par ne plus savoir ce qu’il signifie. Ce qui est juste évident, c’est que l’amour évangélique n’est pas de l’ordre du sentiment, on n’aime pas son prochain comme un amoureux aime son amoureuse, de même, il ne peut être demandé de « trouver sympathique » son ennemi que l’on n’aime pas.

Le grand texte-clé sur cette question est bien sûr la parabole du « Bon Samaritain» (Luc 10 :25ss). Nous y avons là un exemple d’amour de la part du Samaritain qui se préoccupe de l’autre, sans a priori ou préjugé. Lui, il s’ouvre à l’humanité de l’autre par-delà les barrières, accueille l’autre comme sujet souffrant, il compatit, il agit.
Et même, il n’en profite pas pour lui imposer quoi que ce soit : pas de discours pour l’évangéliser, pas de morale, il ne cherche pas à changer son vis-à-vis, et il sait s’en détacher en le confiant à l’aubergiste.

Mais il est bien connu aussi que la parabole a une autre entrée : elle est, en effet, une réponse à la question : « qui est mon prochain »... qui est celui que je dois aimer comme moi-même ? Jésus demande à la fin : « qui a été le prochain du blessé ». Il propose donc de se mettre du côté du blessé, et de voir un autre aspect de l’amour vu du côté du blessé qui doit aimer le Samaritain comme son frère.

Nous découvrons alors que l’amour n’est pas que de l’ordre du faire, mais est plutôt se positionner par rapport à quelqu’un.

Il y a de l’amour aussi dans la reconnaissance, dans le fait de laisser agir l’autre, de faire confiance, de s’offrir à l’action de l’autre. Tout cela, en fait, c’est accepter que l’autre soit un « sujet », un « je » qui agisse, c’est ne pas voir l’autre comme un objet que l’on bombarderait de bonnes œuvres, mais un frère reconnu dans sa personne agissante...

Dans les deux cas, ce qui est là : c’est la gratuité, aucun n’attend quoi que ce soit de l’autre. Tout est don et grâce.

L’amour est une réalité qui est de l’ordre de la relation et donc suppose une réciprocité, il doit y avoir quelque chose qui circule dans les deux sens. Aimer, c’est donner et aussi recevoir, c’est aider et accepter de se faire aider, c’est sauver mais aussi se laisser sauver. Aimer, c’est agir, et aussi écouter, accueillir et laisser faire. Dans tous les cas, c’est laisser l’autre être et le considérer comme un sujet agissant. L’amour suppose le respect de l’autre en tant qu’autre, en tant que sujet. Le véritable amour ne peut pas être dans la fusion, ni dans la confusion, il ne peut transformer l’autre en objet serait-il même objet de bonne œuvre.

La Bible considère, d’ailleurs, à très juste titre, que le mariage est une bonne image de l’amour chrétien, et il est vrai que l’on retrouve dans l’amour conjugal bien compris, le respect, l’accueil de l’autre avec ses qualités et ses défauts. Le véritable amour, par delà l’amour passion adolescent qui est tout le contraire parce qu’il est égoïste, c’est accepter que l’autre soit différent, qu’il soit quelqu’un, ni projection de soi, ni écran de transfert de son propre désir.

Mais on dit aussi que pour bien comprendre tous les sens de l’amour, il faut non seulement avoir assimilé cela, mais aussi avoir compris ce que signifie l’amour d’un parent pour son enfant. Cela est exprimé dans le baptême : l’amour inconditionnel, sorte d’a priori positif et irrévocable d’accueil de l’autre. Aimer, c’est un principe de départ, une volonté d’accueillir et de rester fidèle, quoi qu’il arrive et sans rien attendre en retour.

On pourrait dire d’ailleurs que l’Eglise nous offre d’autres représentations de l’amour : la Communion montre qu’il est aussi partage, solidarité. C’est même peut-être plus difficile et original que l’amour d’une mère pour son bébé : savoir recevoir des autres, accepter d’avoir besoin des autres n’est pas une chose si naturelle que ça.

Lors de la Confirmation, on découvre que l’amour, c’est aussi de laisser l’autre libre, c’est respecter ses choix, l’accepter comme une personne. Ce n’est pas non plus si facile, et il est plus aisé d’aimer un bébé qu’un adolescent, peut-être justement à cause de cela...

Parmi nos rites d’église, on trouve aussi la consécration ou l’ordination qui va plus loin encore dans la confiance. Ici c’est Dieu, et la communauté qui donnent une responsabilité et reconnaissent qu’ils ont besoin de l’autre pour agir et lui font confiance.

Dans l’Eglise Romaine, on trouve aussi la Confession, affirmation de la grâce et du pardon qui sont une part essentielle de l’amour. Sans pardon, il ne peut y avoir d’amour, et enfin l’Extrême-Onction qui dit sans aucune forme de procès que toute la vie est acceptée. Non plus seulement a priori comme au moment du Baptême, mais a posteriori, même en connaissant toutes les fautes et les faiblesses, tout l’être, toute sa vie est assumée, aimée et sauvée alors même qu’il n’y plus aucun changement à attendre.

Tout cela est évidemment un sacré programme, il n’est pas aisé d’aimer, d’accepter, de pardonner, de responsabiliser tous, même ses ennemis. Mais quelqu’un nous montre l’exemple : Dieu qui, lui, nous donne tout cela et nous traite ainsi. Et si nous arrivons à nous laisser aimer ainsi par Dieu, alors notre vie se remplit comme une éponge d’un amour qui pourra rejaillir sur tous ceux qui nous sont confiés.


Louis Pernot